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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/217

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LA FEMME DU DOCTEUR

quillement, sans être inquiétés par le travail impitoyable du progrès et du raffinement modernes.

L’aspect sauvage et désert de ces lieux convenait ce soir-là à la disposition d’esprit de Roland. D’abord il avait marché très-rapidement, courant presque de temps en temps ; tant son désir d’atteindre l’endroit où il trouverait de quoi confirmer son désespoir était fiévreux et insensé. Mais tout à coup, lorsqu’il se fut éloigné quelque peu du château, et que la lumière qui éclairait les fenêtres du salon de Gwendoline lui fut cachée par l’épaisseur des arbres, il s’arrêta soudain et s’appuya contre un arbre, défaillant et presque haletant. Pour la première fois il s’arrêta, pensant à ce qu’il avait entendu. La tempête de rage, le sentiment furieux de la fierté blessée, avaient si complètement pris possession de son cœur qu’ils avaient balayé tout autre sentiment plus doux, comme les fleurs qui croissent aux flancs d’une montagne volcanique peuvent être dispersées par les ruisseaux de lave qui les recouvrent. Pour la première fois il s’arrêta un instant pour réfléchit sur ce qu’il avait entendu. Était-il possible que ce fût vrai ? Cette femme l’avait-elle trompé ? — cette femme pour laquelle il avait oublié les leçons de toute sa vie, cette femme aux pieds de laquelle il avait sacrifié cette philosophie commode qui trouvait une armure impénétrable au chagrin dans l’indifférence suprême de toute chose au monde, — cette femme pour laquelle il avait consenti à reprendre le pénible héritage de l’humanité, la faculté de souffrir ?

— Ainsi, après tout, elle est comme les autres, — pensait-il, — un peu plus vile, peut-être. Et moi qui ai désappris tant de choses pour elle. J’ai anéanti l’ex-