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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/257

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LA FEMME DU DOCTEUR

été coupable ! comme elle s’était montrée fausse, cruelle, ingrate ! Mais si elle avait su qu’il pouvait mourir, — si elle avait su ! — tout aurait pu être bien différent. La connaissance anticipée du sort qui l’attendait lui aurait assuré sa sincérité et sa tendresse ; elle n’aurait pas trompé, même en pensée, le mari dont les jours étaient comptés. Au milieu de tous ses remords elle se débattait sous le poids d’une impossibilité : l’impossibilité de se rendre compte de ce qui était arrivé. Il avait fallu que le médecin lui affirmât solennellement que son mari était mort, avant qu’elle pût admettre que cet évanouissement, la pesanteur et le froid de glace de la main inerte voulaient dire la mort. Et même lorsqu’on lui eut dit que tout était fini, les mots ne parurent avoir que peu d’influence sur son esprit. Cela était impossible ! Toute la dernière quinzaine d’anxiété et de douleur fut oubliée, et elle ne pouvait penser à George tel qu’elle l’avait toujours vu jusqu’à ce moment, c’est-à-dire dans tout l’éclat de la santé et de la force.

Elle avait beaucoup de chagrin, mais aucune angoisse de désespoir ne vint réchauffer son cœur glacé, C’était la violence du choc, le sentiment de frayeur qui l’oppressaient plutôt que la conscience d’une grande perte. Elle aurait voulu ressusciter son mari ; mais surtout parce qu’il était horrible de savoir qu’il était là, — près d’elle, — et dans l’état où il se trouvait. Elle eut un instant la pensée, — pensée misérable et égoïste, — qu’il eût été beaucoup plus facile pour elle de supporter cette calamité, si son mari avait été loin d’elle et qu’une lettre fût venue lui apprendre qu’il était mort. Elle se voyait recevant la lettre et s’étonnant de cette lettre bordée de noir. Le