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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/276

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LA FEMME DU DOCTEUR.

Elle ne pouvait renoncer à son ancienne attitude d’adoration. C’était toujours un prince, noble ou méchant, un prince par droit divin de splendeur et de beauté ! S’il daignait lui sourire, n’avait-il pas droit à sa reconnaissance la plus profonde, à son dévouement le plus absolu ? S’il lui plaisait de la fouler aux pieds, qu’était-elle, pour se plaindre, comparée à la magnificence de son idole ? Il y a toujours quelques fanatiques prosternés sur le chemin que le char doit parcourir et parmi eux qui donc pense à maudire Jaggernaut pour les tortures infligées par les terribles roues ?

Les mêmes mains affectueuses qui avaient baigné le front de Mme Gilbert la relevèrent de son attitude agenouillée ; et, en levant les yeux, Isabel vit Gwendoline penchée vers elle, très-pâle, très-grave, mais avec un doux sourire de compassion sur les lèvres. Lord Ruysdale et sa fille étaient venus au château dès qu’ils avaient appris le dangereux état de Roland, et, pendant les vingt-quatre heures qui s’étaient écoulées depuis, Gwendoline n’avait presque pas quitté son cousin. Cet amour caché qui était devenu de la colère jalouse en présence de la folie de Roland recouvra toutes ses qualités les plus pures en cet instant et il n’y avait pas de sacrifice et de marque d’abnégation qu’elle ne fût prête à donner si, à ce prix, elle eût pu rendre la santé et la vigueur au mourant. Elle avait entendu le jugement des médecins. Elle savait que son cousin se mourait. Elle n’était pas femme à s’illusionner par de vaines espérances, à repousser le calice parce qu’il était amer sachant que tôt ou tard il faudrait le vider jusqu’à la dernière goutte. Elle baissa la tête devant l’inévitable et accepta son chagrin. Ja-