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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/37

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LA FEMME DU DOCTEUR

sombres, froids et tristes, et sa vie était sombre, froide et triste comme les jours. Elle n’écrivit pas un roman. Elle n’exécuta aucune tâche et ne réalisa aucun plan ; mais elle commença mille entreprises, s’en fatigua, et finalement y renonça. Elle écrivit quelques chapitres d’un roman, œuvre d’imagination sauvage et inculte dans laquelle Roland régnait sans partage en dépit des règles de Lindley Murray, où il était toujours nominatif lorsqu’il aurait dû être objectif et vice versa, en un mot où il faisait, aussi peu que possible, honneur à l’université dans laquelle il était représenté comme ayant réuni un faisceau impossible d’honneurs et de triomphes. Mme Gilbert ne tarda pas à se fatiguer du roman, bien que l’idée de faire sensation ne laissât pas que d’être agréable. Il le lirait et il saurait qu’elle en était l’auteur. Le premier chapitre ne contenait-il pas une description très-minutieuse du chêne de lord Thurston ? Il était agréable de penser au roman, proprement relié, en trois volumes. Mais Mme Gilbert n’alla jamais au delà d’un petit nombre de chapitres décousus dans lesquels les grands faits de l’intrigue principale, — la première entrevue du héros et de l’héroïne, la mort de celle-ci par immersion et de celui-là par la rupture d’un anévrisme, etc., — étaient décrits. Elle reculait devant les détails ; elle pouvait bien édifier un palais féerique et prodiguer le luxe dans ses salles immenses ; mais elle ne savait pas clouer les tapis, arranger les jalousies, ou disposer l’ameublement. Elle déchira le manuscrit ; puis, pendant quelque temps, elle songea à être un modèle de bonté, à se montrer compatissante envers les pauvres, tendre pour son mari, et assidue aux sermons du matin et de l’après-midi à l’église de Graybridge. Elle se