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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/47

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LA FEMME DU DOCTEUR

Les yeux d’Isabel s’obscurcirent quand elle lut ce passage de la lettre. Il pensait à elle malgré l’éloignement — bien qu’il fût presque à l’autre bout du monde, au jugement d’Isabel, car sa lettre était datée de Corfou ; il se souvenait qu’elle existait et il s’inquiétait de son bonheur ! Ce jour-là les livres lui furent bien inutiles. Elle demeura assise, un volume ouvert sur les genoux, les yeux fixés sur le foyer, pensant à lui. Elle retournait à ses vieux errements. Son image avait repris à ses yeux toute son ancienne splendeur. Triste, bien triste était la vie là où il n’était pas. Comment allait-elle faire pour supporter l’existence. Elle joignit les mains dans une extase silencieuse.

— Oh ! mon bien-aimé, si vous saviez au moins combien je vous aime ! — murmura-t-elle.

Puis elle tressaillit, confuse et rougissante. Jamais, jusqu’à ce moment, elle n’avait osé traduire sa passion par des mots. L’horloge du château sonna trois heures ; mais Mme Gilbert resta assise dans la même attitude, pensant à Roland. La pensée de rentrer chez elle et de se retrouver encore une fois en face de sa vie quotidienne lui était indiciblement pénible. Cette lettre fatale, si ordinaire pour le premier lecteur venu, avait ressuscité tous les anciens sentiments exaltés. Encore une fois, Isabel s’envola sur les ailes du sentiment et de l’imagination, dans cette région de convention où le jeune seigneur de Mordred régnait sans partage, beau comme le prince d’un conte de fée, grand comme le demi-dieu de quelque légende classique.

La pendule de la cheminée fit entendre la demie après quatre heures. Mme Gilbert releva un instant la tête, arrachée une seconde à sa rêverie.