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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/60

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LA FEMME DU DOCTEUR.

au célibat. Il aurait dû se tenir à l’écart et attendre que l’homme parût sur la scène, l’homme aux sympathies poétiques et aux appréciations sublimes de la grâce et de la beauté féminine, et de toutes sortes d’attributs nébuleux qui sont censés faire partie des qualités de la femme sentimentale. Allons donc ! Roland, tout ceci est bon sur de joli papier de Chine, dans un charmant volume édité par MM. Moxon ; mais l’univers n’a pas été organisé pour le bonheur particulier des poètes. Il faut qu’il y ait des existences tranquilles, des satisfactions vulgaires, des ménages simples et terre-à-terre, dans lesquels le mari et la femme s’aiment l’un l’autre, et accomplissent leurs devoirs réciproques d’une façon toute prosaïque. La vie ne saurait être une extase poétique perpétuelle. Ah ! Roland, il vous a plu, depuis quelques années, de vous poser en sceptique. Que votre scepticisme vous sauve aujourd’hui ! Cela vaut-il la peine de faire beaucoup de mal, de commettre un grand crime, pour un joli visage et une paire d’yeux noirs, pour la satisfaction d’une folie éphémère ?

— Ce n’est pas une folie éphémère, — répondit avec énergie Lansdell. — J’étais porté à croire qu’il en était ainsi l’automne dernier quand je suivis votre conseil et m’éloignai d’ici. Je sais mieux à quoi m’en tenir maintenant. Si la profondeur et la sincérité existent quelque part dans l’univers, c’est dans mon amour pour Isabel. Ne me dites pas le contraire, Raymond. Les arguments qui auraient du poids pour d’autres hommes sont impuissants sur moi. J’ai le tort ou le malheur de ne pouvoir ajouter foi aux choses que le monde croit. Mais surtout je ne puis croire aux formules. Je ne puis croire que quel-