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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/8

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LA FEMME DU DOCTEUR.

être indiciblement heureux de la présence de cette jeune fille : point d’angoisse vague causée par le remords, pas l’ombre de révolte de la conscience, se mêlant à la moindre émotion agréable, étouffant le moindre frémissement de joie mystique. Puis… puis, un soir, dans le jardin, sous la blanche lumière de la lune, pendant que les étoiles scintilleraient vaguement au-dessus des toits de la ville, endormie et silencieuse dans l’éloignement, il lui dirait qu’il l’aimait ; qu’après dix ans d’indifférence pour les plus belles choses du monde, il trouvait un bonheur pur et indicible dans l’espoir et la croyance qu’elle serait sa femme. Il se peignait ses timides rougeurs, ses yeux baissés inondés soudainement des larmes arrachées à la profondeur de sa joie ; et il se représentait ce que la vie aurait pu être pour elle à partir de ce jour après la transformation et la sanctification, conséquences de ce nouveau but et de ces extases nouvelles ; transfigurée par une affection pure et exaltée. Il se représentait tout ce qui aurait pu être ; il se tourna et s’inclina devant une image qui lui ressemblait, mais qui cependant n’était pas la sienne, — l’image d’un homme, fort de l’accomplissement de son devoir, heureux époux, heureux père, ami sincère et maître affable, fixé à jamais au milieu d’un paisible paysage anglais ; aimé, respecté, centre d’un cercle de bonheur, clef de voûte d’un monument élevé au bonheur domestique, chaînon nécessaire à la grande chaîne de la tendresse et de la vie humaine.

— Et au lieu de cela, je suis un nomade inutile au monde, hier, aujourd’hui et demain ; sans but dans la vie et qui peut s’éteindre sans faire de vide. Lorsque Louis le Bien-Aimé ne voulait pas chasser, les veneurs