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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/76

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LA FEMME DU DOCTEUR.

prennent pour sujets de leurs cancans, qu’ils me mettent dans leurs journaux, et qu’ils s’en donnent à cœur joie ! Mon âme est autant au-dessus d’eux que l’aigle qui monte vers le soleil est au-dessus du mouton qui le regarde du fond des vallées. J’ai mis le pied sur le soc flamboyant, mais ma bien-aimée sera emportée saine et sauve dans les bras robustes de son amant.

Mme Gilbert rentra au logis, retrouva son mari, et s’assit en face de lui à table, comme de coutume. Mais les paroles de Roland, si obscures pour elle qu’en eût été le sens, l’avaient influencée quelque peu, car elle rougit quand George lui demanda où elle avait été par cette froide après-midi. Gilbert ne vit pas cette rougeur ; il découpait le rôti au moment où il faisait cette question, et, d’ailleurs, il l’avait faite plutôt machinalement que par curiosité. Cette fois Mme Gilbert ne dit pas à son mari qu’elle avait vu Roland. Les mots : honte et déshonneur, résonnaient à ses oreilles pendant tout le temps du dîner. Elle avait goûté si peu que ce fût du fruit de l’arbre fameux et elle en trouva la saveur très-amère. C’était mal de rencontrer Roland sous le chêne de lord Thurston, puisqu’il l’avait dit, et le rendez-vous du mercredi devait être le dernier ; et cependant leur sort devait être heureux ; ne l’avait-il pas dit en termes d’une éloquence mystérieuse dont la pauvre Isabel était incapable de sonder toute la signification ? Elle réfléchit toute la soirée à ce qu’avait dit Lansdell et un vague pressentiment de danger imminent se fit jour dans son esprit. Peut-être s’éloignait-il pour toujours et lui avait-il parlé autrement afin de l’endormir par de vaines espérances et s’épargner ainsi l’ennui de ses lamentations. Ou bien il allait à Londres pour arranger son