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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/77

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LA FEMME DU DOCTEUR

mariage prochain avec Gwendoline. La pauvre Isabel ne pouvait pas secouer ses craintes jalouses de cette rivale brillante et de haute naissance que Lansdell avait aimée autrefois. Oui, il avait aimé Gwendoline. Raymond avait trouvé une occasion pour raconter à Isabel l’engagement qui avait autrefois lié le jeune homme à sa cousine, et il avait ajouté qu’il espérait que, après tout, un mariage pourrait être encore amené entre eux ; et la femme de charge de Mordred n’avait-elle pas dit quelque chose de semblable ?

— Il épousera lady Gwendoline, — pensait Isabel, dans un soudain accès de désespoir, — et c’est ce qu’il va me dire mercredi. Aujourd’hui, il n’était pas le même homme qu’il s’est montré depuis son retour à Mordred. Et cependant… et cependant…

Et cependant quoi ? Isabel essaya en vain d’approfondir le sens du discours décousu de Roland, tantôt d’une gravité émue… tantôt d’une violence soudaine… un instant plein d’espoir… puis après assombri par le désespoir. Qu’est-ce que cette naïve liseuse de romans pouvait faire contre un homme du monde, dévoré de l’ardeur de braver le monde, et qui connaissait parfaitement quel monde terrible il allait outrager et défier.

Mme Gilbert ne dormit pas de la nuit et rêva au rendez-vous près de la cascade. Les paroles de Roland la troublaient et l’alarmaient. Le bonheur qui s’ignore, les délices irréfléchis de la présence de l’amant, la joie quotidienne dont la plénitude ne laisse pas de place pour une pensée du lendemain, avaient subitement disparu comme un rayon de soleil éclipsé par des nuages noirs qui présagent un orage. Ève avait écouté les premiers murmures du serpent et le paradis avait perdu une partie de sa beauté.