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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/21

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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

de route[1] sont avec moi. Je ne le parle pas de mon courage, chère Agathe, tu le connais.

Jeudi.

Cinquième jour de mer, et nous sommes déjà à mi-chemin de New-York ! Le vent nous est favorable ; si nous continuons ainsi, notre traversée sera l’une des plus promptes et des plus heureuses qui aient été faites entre l’Europe et l’Amérique. Mais, « il ne faut pas crier Hé ! avant d’avoir franchi la colline. » Comme le vent est vif et que la vague bat plus fort aujourd’hui, mon écriture ressemble un peu, je le crains, à celle de Charles XII, quand il écrivait à « Mon cœur. » Je me porte à ravir et n’ai aucune envie d’arriver, tant je me trouve confortablement ici, et puis l’aspect du ciel et de la mer est si propre à élever et à ranimer l’âme ! Elle prend des ailes et s’élance bien au-dessus de l’Océan mugissant. Depuis plusieurs jours nous ne voyons que le ciel, l’eau, et des oiseaux qui tournoient autour de nous ; pas une voile, pas une fumée s’élançant d’une cheminée à vapeur : ce vaste espace est désert. Mais les vagues, les rayons du soleil et les nuages errants sont une compagnie suffisante ; on peut y ajouter ses propres pensées. Je me tiens et me promène des heures entières seule sur le pont ; je hume l’air frais et moelleux de la mer ; je vois notre Léviathan plonger et remonter avec les flots mugissants, tandis que mes pensées plongent et tournoient comme les oiseaux de mer dans le lointain inconnu. Il y a toujours eu en moi un peu de l’animation de nos pirates et de leur amour pour les flots ; il en est en-

  1. Suivant le préjugé populaire en Scandinavie, des esprits sont attachés au sol, à la maison, ou aux personnes. L’auteur fait ici une allusion badine à cette croyance superstitieuse. (Trad.)