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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/383

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DANS LE NOUVEAU-MONDE.
LETTRE XVII


Columbia (Caroline du Sud), 25 mai 1850.

Il y a longtemps que je n’ai causé avec toi, mon Agathe ! mais les jours, les heures s’écoulent rapidement, et je n’ai guère d’instants à moi. Ma dernière lettre est datée de Savannah. J’ai bientôt après quitté cette ville, accablée de bontés, de cadeaux jusqu’au dernier moment. Je penserai toujours avec reconnaissance à mon hôte M. Tefft, tant il a été bon et bienveillant pour moi. Il m’a forcée, au dernier moment, de lui laisser payer mon voyage jusque à Augusta. On parle de l’amour du gain des Américains, mais on devrait par la même raison parler de leur penchant à la libéralité. Ils aiment à donner comme ils aiment à gagner. Je pars succombant sous le poids des cadeaux qu’on dépose encore sur mes bras au dernier moment.

Ce voyage en remontant la Savannah, qu’on m’avait dit si ennuyeux, si uniforme, m’a causé infiniment de plaisir. Le temps était divin, le courant très-fort et la rivière gonflée par les eaux du printemps, de sorte que nous avancions lentement. J’ai donc en le loisir nécessaire pour bien voir les rives entre lesquelles la Savannah serpentait, et qui, de mille en mille, d’heure en heure, offraient la même scène ; mais cette scène était la forêt primitive : des masses de feuillage, d’arbres et de buissons innombrables, de lianes, paraissaient se reposer sur l’eau des deux côtés de la Savannah bordée par les rivages de la Géorgie et de la Caroline. La forêt primitive, haute, impénétrable se prolongeait à plusieurs milles dans les terres, à ce qu’on me disait,