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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/384

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LA VIE DE FAMILLE

avant que l’eau et le monde des plantes n’eussent fait place au défrichement. Mais ici elle régnait dans toute sa splendeur et magnificence première. Il me semblait assister au troisième jour de la création, quand, à la parole de Dieu, chaque plante parut avec sa semence. La Savannah avec ses eaux d’un brun rougeâtre, paraissait récemment sortie du chaos et riche de la substance qu’elle n’avait pas encore eu le temps de déposer, lorsque déjà les végétaux verdoyants s’élançaient sur ses bords avec un luxe sauvage. Des plantes grimpantes montaient rapidement à la cime des arbres et retombaient ensuite pour se plonger de nouveau dans la rivière. De ces masses vertes, formant des murailles, des portiques, des pyramides, de lourdes et fantastiques figures, s’échappaient parfois des catalpa avec une flamme de fleurs d’un blanc jaune ; de graves magnolias vert foncé présentaient leurs fleurs blanches comme neige au jour qui était beau et transparent. Des sycomores, des tulipiers aux jolies fleurs tachetées de jaune et de rouge, des mûriers, bien des sortes de chênes, d’ormes, de saules, me frappèrent tandis que nous passions. Le plus haut de tous ces arbres était le cyprès aux lianes pendantes qui étendait ses bras vigoureux sur les plantes moins élevées. Pas la moindre trace d’habitation, d’activité humaine ne se montrait sur ces rives. On ne voyait, n’entendait même rien qui se rapportât à la vie animale. Et quoique les alligators (crocodiles de l’Amérique) soient fort nombreux, dit-on, dans la Savannah, je n’en ai pas vu un seul ; pas un oiseau ne chantait, tout était silencieux et tranquille, même le vent. C’était une solitude d’une beauté fantastique et dans toute sa floraison dans ce moment. Je n’ai vu que dans un seul endroit deux grands oiseaux de proie perchés sur les branches d’un pin mort, et