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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/385

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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

nous rappelant « que la mort était entrée dans le monde. »

C’est ainsi que nous remontâmes la rivière dans un bateau à vapeur à haute pression, l’Orégon, pourvu de deux cheminées haletantes, tandis que, le matin et le soir, le soleil et la lune semblaient rivaliser pour embellir le spectacle. Et je chantai en mon âme, comme autrefois les premiers colons de la Géorgie : « Que la création est belle et son Créateur magnifique ! » Quelle richesse, quelles scènes splendides cette partie du monde renferme dans son sein ! De nouveau seule avec l’Amérique, elle me découvrait ses mystères et le riche héritage des générations à venir.

La Savannah sert de frontière entre la Caroline et la Géorgie. J’avais, dans la première, des amis tendrement aimés ; mais la Géorgie me plaisait davantage ; je me tournais vers son rivage comme vers une terre plus libre, plus animée par une fraîcheur juvénile. Cette course était pour moi une fête incessante, je voulais seulement me taire et jouir ; mais, pour cela, j’étais obligée d’éviter dans le salon une bande de jeunes filles, jolies, mais étourdies, seules en partie de plaisir, qui couraient çà et là en bavardant, et sur le tillac une couple de planteurs disposés à causer, mais ne parlant que coton, coton, coton. Je cherchais à être en tête à tête avec la rivière, la forêt primitive, ses ombres et ses clairs. Parmi les jeunes filles se trouvait aussi un jeune adolescent, frère ou parent de l’une d’elles ; plus avant dans la soirée, il dut quitter le bateau. Les jeunes étourdies le saisirent, le prirent dans leurs bras, l’embrassèrent l’une après l’autre en jouant et riant, tandis que moitié fâché, moitié fasciné, il cherchait à se débarrasser d’elles. Quelle impression ce jeune homme a-t-il emportée de cette scène de nuit ? Ce n’est pas, assurément, de la considération pour les femmes. L’un des hommes d’un