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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/391

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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

costume comme la terre et pitoyablement maigre, était très-jeune encore et une véritable beauté sous le rapport des traits. Elle avait l’air bon, mais non pas gai ; était silencieuse, regardait beaucoup ses enfants, les plus beaux marmots non baptisés que l’on puisse imaginer, et qui se roulaient les uns sur les autres en toute liberté ; ils étaient joyeux, sages et meilleurs que bien des enfants de salon baptisés et gâtés.

Groen aimait à causer et nous raconta spontanément diverses circonstances de sa vie. Pendant un temps, il avait été surveillant chez un propriétaire d’esclaves, homme d’église ; cette fonction lui parut cruelle et il l’abandonna. Il lui était impossible de donner ou faire donner des coups de fouet aux esclaves. Son maître ne voulait pas qu’on renonçât à ce châtiment, d’autres maîtres n’étaient pas meilleurs, Groen en avait fait l’expérience. Il était fier comme un roi dans sa libre et innocente pauvreté. « Mais, ne peut-on pas avoir de la douceur même en étant surveillant d’esclaves ? » demandai-je. — « Non, répondit Groen, il faut être dur, les stimuler avec le fouet quand on veut qu’ils travaillent, et le planteur ne permettrait pas d’agir différemment. »

Je donne pour ce qu’elle vaut cette expression de Groen : il faut, elle provient peut-être d’un manque de jugement ou de modération chez lui. Mais je dois l’avouer, les surveillants que j’ai vus jusqu’ici, m’ont déplu par l’expression dure et sauvage de toute leur personne et surtout de leurs yeux. L’un des côtés fâcheux de la vie des plantations, c’est que pendant une bonne partie de l’année, les esclaves sont abandonnés à la domination de ces hommes subalternes, quand le planteur et sa famille sont absents pour leur santé ou leurs plaisirs.