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Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/75

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Le roi ne se tint pas un instant dans l’appartement qui lui avait été préparé ; il parcourut à grands pas le château et les jardins, criant à tue-tête

« Godoy ! Godoy ! » ne pouvant perdre de vue son

favori, et finit par s’établir avec lui dans le billard, où il resta jusqu’à son coucher, sauf l’intervalle du repas, sans cesser de parler de sujets différents, avec une ardeur bruyante et une volubilité intarissable, mais sans la moindre allusion aux circonstances du moment. Il avait parfaitement l’air du roi Lear, mais ce n’était qu’un faux air.

La reine, au contraire, s’établit dans son appartement, sans en sortir, quelque invitation que le roi lui fît. Elle y reçut ma mère avec dignité, gravité, prévenance ; lui tint force propos royaux « Combien avez-vous d’enfants ? Combien de garçons ? Quel âge ont-ils ? Depuis quand ce château est-il construit ? etc. » et la congédia sans avoir prononcé un mot sur sa situation personnelle. Le nom de l’empereur ne fut pas même prononcé dans la conversation.

À huit heures, tout était couché ; le lendemain à six heures, tout était parti, et l’équipage royal emportait, en croupe, la fortune de l’Empire.

Six mois après, en effet, survint le désastre de