Aller au contenu

Page:Brossard - Correcteur typographe, 1934.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Leclerc voudra-t-il nous faire croire que la prononciation du mot désa-buser ne souffrira pas quelque peu de cette coupure ? et mal-adroit, sur-abondant, syn-optique ? — Pourquoi, dans son Dictionnaire de la langue française, Littré indique-t-il la prononciation figurative : dé-za-bu-zé, dé-zaveu, mé-zaventu-r’, su-bal-ter-n’, si-nop-ti-k’ ? — Quel compte M. Leclerc tient-il donc ici de l’é dans dés, accent que la prononciation seule a introduit, et non point l’étymologie (dés vient du latin de-ex, d’après Littré) ? Quelle importance lui accorde-t-il ? Si l’accent est nul, supprimons-le et prononçons : deus-aveu, meus-aventure. Si, au contraire, cet accent est obligatoire, rendons-lui sa véritable fonction et séparons-le, comme le fait la prononciation, de s, dont il n’a nul besoin pour donner à e un son fermé. — Synoptique se prononcera-t-il : si-nop-ti-k’, comme l’indique Littré ; ou, après avoir divisé syn-optique, ainsi que le conseille M. Leclerc, dira-t-on : sain-[1] optique ?

Enfin, pour être logique, bien que M. Leclerc n’en parle pas, nous devrons diviser encore : dés-ir, dés-ert. — Quelle contradiction, pour un lecteur ignorant de toutes ces arguties et de toutes ces subtilités, si, aux lignes suivantes, surviennent les divisions dé-so-ler (de de et solus), dé-su-da-tion (de de et sudare), dé-sué-tude (de de et suetudo), faites en concordance avec l’étymologie. — Comment, encore, diviser désuint (dont le mot primitif est des-suint) : dés-uint, suivant M. Leclerc, ou dé-suint, d’après nous ? Et ne peut-on mieux comprendre ici quelle, fonction l’é remplit, après la suppression de s ?

Dans son Cours élémentaire de composition typographique, au paragraphe de la Division des mots en fin de ligne, M. V. Breton constate que, sur cette question… « les avis sont bien partagés : les uns veulent diviser tout simplement par syllabes, telles qu’elles sont constituées par leurs lettres et leur son ; d’autres, peut-être avec raison, voudraient la division étymologique. Cette dernière se comprendrait si tous les compositeurs[2] possédaient à fond le grec et le latin ; mais, comme cela n’est pas, il semble préférable, pour éviter les divisions baroques, de s’en tenir à la division élémentaire par syllabes, telle qu’elle se comprend le plus facilement. Cela n’enlève rien, du reste, à la correction. »

Et, quelques lignes plus loin, insistant sur l’idée qu’il vient d’émettre, il termine par cette conclusion qui confirme, entièrement notre manière de voir : « Il vaut donc mieux s’en tenir au mode simple et clair de la division par syllabes telles quelles, en évitant toutefois certaines divisions défectueuses qu’il est facile de désigner après une simple explication. »

M. Tassis, dans son Guide du Correcteur, remarque plaisamment qu’en 1835, après une lutte des plus vives et des plus longues, dans les imprimeries de Paris, entre correcteurs tenants du système étymologique et correcteurs tenants du système syllabique, les partisans de la division étymologique, réellement effrayés des conséquences auxquelles les avaient conduits leurs préten-

  1. Il paraît difficile de figurer autrement le son nasal que doit prendre dans la prononciation la syllabe in du fait de son isolement à la fin de la ligne.
  2. M. Victor Breton aurait pu ajouter : « et tous les correcteurs ».