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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1934.djvu/364

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les paragraphes où cette question est traitée dans le livre si intéressant de M. E. Desormes.

Comme tout auteur qui se respecte, M. Desormes pose d’abord un principe (contre la division épellative) : « M. Théotiste Lefevre, dans son Guide pratique, et, avec lui, un grand nombre de correcteurs, sont partisans d’un système que nous ne saurions adopter. Nous pensons qu’il n’est pas permis de violenter ainsi notre langue au profit exclusif de l’épellation par syllabe, dont les inconvénients sont si bien reconnus, qu’elle a disparu des écoles pour faire place à l’épellation par mots »[1].

Le lecteur doit être suffisamment édifié, semble-t-il, et il pourrait paraître superflu d’insister plus longuement sur les idées de M. Desormes (il ne resterait plus qu’à en examiner les conséquences), s’il n’apportait certaines affirmations bien faites pour surprendre après un début aussi catégorique.

Aussi poursuivons la citation : « Prenons, par exemple, les mots désunir, désapprouver, transalpin et une foule d’autres analogues, et nous verrons qu’il eût été bien plus logique de les épeler et, par contre[2], de les diviser étymologiquement que pédagogiquement, puisque dans ce dernier cas ils perdent leur prononciation française et la gardent dans l’autre. — Si nous épelons par l’ancienne manière les mots cités, nous avons, pour les commençants et les étrangers, dè-çunir, dé-çapprourer, tran-çalpin, c’est-à-dire que nous donnons à notre, langue latine[3] la rudesse de l’accent tudesque, tandis que, si nous épelons étymologiquement, dés-unir, dés-approuvé, trans-alpin se prononcent comme ils doivent se prononcer. »

On ne peut se refuser à croire aux connaissances linguistiques de M. Desormes ; on nous permettra, toutefois, notre sentiment différant du sien en la circonstance, de ne point nous en rapporter de prime abord à son opinion. Dans son Dictionnaire de la langue française, Littré, un érudit dont personne ne songera à contester la compétence et l’autorité en cette matière, figure ainsi la prononciation de ces mots (M. Desormes pourra s’en convaincre aisément) : dé-zu-nir, dé-za-prouvé, tran-zal-pin. Larousse, lui aussi, dans son Dictionnaire, donne de ces mots une prononciation figurative identique[4]. — Ces exemples paraîtront décisifs ; dès lors, il ne saurait plus être question ici de la rudesse de l’accent tudesque (figuré par ç), et, sans doute, désormais la prononciation épellative de ces mots sera permise !

M. Desormes ajoute : « On ne manquera pas de dire que notre argumentation a moins de fond que de subtilité : ce sera une erreur (!) ajoutée à beaucoup d’autres (alors Littré se serait trompé ?), car, s’il en était ainsi, il ne resterait plus qu’à supprimer tous les accents suscrits ou souscrits, qui deviendraient des superfluités dont l’inutilité ne serait plus contestable. »

  1. Que l’épellation syllabique ait « disparu des écoles » de Paris, nous ne le contesterons point ; mais qu’elle ait « disparu des écoles » de province, voilà une affirmation qui nous étonne, sachant par une expérience personnelle journalière qu’il n’en est rien. Il est vrai que cela ne prouve pas grand’chose, sinon « qu’on n’envisage pas les choses de même façon à Paris et à Berlin » !
  2. M. Desormes a, sans doute, voulu écrire : par conséquent.
  3. Non point latine, mais seulement de parenté, d’origine latine, grecque ou autre, déjà un peu éloignée.
  4. Le Dictionnaire Larousse porte, à plusieurs reprises, la division tran-salpin.