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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1934.djvu/419

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posé en romain, et tantôt en italique, anomalie que rien, aux yeux du lecteur, ne semble justifier, ont simplement proposé de supprimer l’article, notamment quand il accompagne un nom de navire, « attendu que sur les vaisseaux eux-mêmes cet article n’est pas indiqué : Vengeur, Bruix, Dumont-d’Urville ».

Malheureusement, ni l’un ni l’autre de ces artifices ne peut obvier aux inconvénients qui viennent d’être signalés.

Tout au contraire même, le premier sera une source nouvelle d’irrégularités. Il n’est point besoin de discuter longuement pour reconnaître que rarement le nom propre est accompagné, en apposition, du nom commun de catégorie ou d’espèce de l’objet désigné. L’exception deviendrait la règle au détriment du précepte, et le lecteur ne comprendrait pas davantage l’emploi de l’italique dans un cas, dans tel autre l’emploi du romain : pour lui, la faute existerait toujours. — Si la besogne du compositeur se trouvait simplifiée, elle le serait fréquemment au détriment de l’exactitude, le déterminatif pouvant fort bien, malgré l’absence du nom, faire partie intégrante et indispensable de l’intitulé.

D’ailleurs, quel romancier, quel savant, quel littérateur s’astreindra à répéter, en une sorte de ritournelle, cette antienne : « le paquebot la Touraine », « le journal Journal des Savants », etc. ? Le lecteur serait vite excédé d’un style semblable dont les qualités n’auraient plus rien de celles rappelées plus haut. L’emploi du déterminatif euphonique rend à l’écrivain trop de services pour penser qu’il songera de gaieté de cœur à se priver volontairement de cette ressource, de cette ficelle — disons le mot — lui permettant de faire entendre à l’oreille du lecteur les sons « les plus doux, les plus souples et les plus agréables. »

Quant à laisser au typographe ou même au correcteur le soin de procéder à la suppression de l’article dans les conditions où quelques-uns l’ont proposée, il ne faut point être grand clerc pour reconnaître que le consentement des auteurs ne serait pas toujours accordé, quel que fût le bien-fondé de la suppression.

Il faut bien le dire au reste : certains auteurs ne sont pas mieux documentés que le compositeur pour connaître à coup sûr les cas où l’article « fait partie indispensable de l’intitulé ». À certains, dès lors, il ne paraîtra pas plus difficile d’écrire inexactement Champagne, Touraine, que de griffonner le Bruix, le Vengeur, etc.

Comment, dès lors, au milieu de toutes ces distinctions, de toutes ces subtilités, de ces arguties même, le compositeur parviendra-t-il à se faire une opinion exacte ?