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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1934.djvu/609

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Enfin, une dernière question reste à examiner, celle des licences, c’est-à-dire des permissions, des autorisations que prennent, que s’octroient si largement les poètes de déroger à certaines règles grammaticales ou orthographiques.
xxxx Quelques exemples suffiront, car il serait difficile, pour ne pas dire impossible, et surtout fastidieux, de dresser une liste même approximative des licences poétiques, variables d’ailleurs, avec chaque auteur. Il en est, au reste, un certain nombre qui n’ont aucun point de contact avec les règles typographiques et qui, à ce titre, n’intéressent que peu le compositeur, telles celles de l’inversion, du pléonasme, de l’anacoluthe[1], etc.

31. S est fréquemment retranché à la première personne du singulier du présent de l’indicatif de certains verbes et de leurs composés : voi, croi, reçoi, averti, etc.[2] :

 
Portez à votre père un cœur où j’entrevoi
Moins de respect pour lui que de haine pour moi.
Tantôt, cherchant la fin d’un vers que je construi,
Je trouve au coin d’un bois le mot qui m’avait fui.

Mais cette suppression n’est pas autorisée dans tous les verbes : elle ne l’est pas dans je puis, je suis, je fuis, je sens et dans beaucoup d’autres ; elle n’est non plus jamais autorisée à la deuxième personne du singulier et à l’impératif.

32. Certains noms propres perdent également leur s final : Apelle, Charle, Athène, Mycène, Versaille, Londre, etc.

33. Au contraire, pour éviter une élision gênante ou répondre aux

  1. Une simple mention suffira pour l’hiatus : choc, difficulté de prononciation produite « par la rencontre, sans élision possible, de deux voyelles dont l’une finit un mot et dont l’autre commence le mot suivant » :

    Gardez qu’une voyelle à courir trop hâtée
    Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée

    On a peine à haïr ce qu’on a tant aimé ;
    Ô haine de Vénus ! Ô fatale colère !


    pour l’enjambement : coupure, à la fin d’un vers, de l’alliance intime de deux ou plusieurs mots, dont l’un, au moins, est renvoyé au vers suivant :

    Est-ce un frère ? Est-ce vous dont la témérité
    S’imagine… ? — Apaisez ce courroux emporté… ;


    et pour le rejet : continuation, dans un vers, d’une pensée commencée au vers suivant :

    Je répondrai, Madame, avec la liberté
    D’un soldat qui sait mal farder la vérité… ;


    et le compositeur connaîtra, dans leur généralité, les principales règles de versification française.

  2. En cela les poètes ne faisaient d’ailleurs que conserver l’ancienne orthographe.