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Page:Brunetière - Cinq lettres sur Ernest Renan, 1904.djvu/70

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que je ne connais pas de conception de l’histoire plus « féroce » que la sienne, ou, comme dit le poète, « moins détrempée du lait de l’humaine tendresse », si je n’aimais mieux dire, pour me faire aujourd’hui mieux entendre et à plus de gens, que je n’en connais pas de plus « antidémocratique ».

Je ne m’exprimerais pas ainsi, je l’avoue, s’il ne s’agissait que des opinions qu’on s’amuse, depuis quelques jours, à extraire de ses Œuvres complètes, et dans lesquelles il a parlé, de la Révolution française ou de la Déclaration des droits de l’homme, presque plus sévèrement que Taine[1].

  1. Il ne lui en a d’ailleurs pas coûté, le cas échéant, de dire exactement le contraire, ayant toujours eu pour principe de mettre ses « idées » à part de ses « opinions », et de ne pas transiger sur les premières, mais d’accommoder assez complaisamment les secondes aux circonstances. Il en faisait naïvement, ou un peu cyniquement l’aveu dans son Discours à l’Association des étudiants, 1886 :

    « Mon vieux principe de fidélité bretonne fait que je ne m’attache pas volontiers aux gouvernements nouveaux. Il me faut une dizaine d’années pour que je m’habitue à regarder un gouvernement comme légitime… Mais voyez la fatalité ! Ce moment où je me réconcilie, et où les gouvernements de leur côté commencent à être assez aimables pour moi, est justement le moment où ils sont sur le point de tomber et où les gens avisés s’en écartent. Je passe ainsi mon temps à cumuler des amitiés fort diverses et à escorter de mes regrets, par tous les