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Page:Brunetière - Cinq lettres sur Ernest Renan, 1904.djvu/97

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On l’a loué d’avoir été «l’un des maîtres de la Libre Pensée ». C’est une opinion ! Nous avons le droit d’en avoir une autre. Je l’exerce en disant que ce n’est pas penser librement que de s’imposer à soi-même, ou de recevoir de la bouche d’un ami, fût-il mon éminent confrère M. Marcelin Berthelot, la négation du surnaturel comme un « dogme absolu ». Si c’est d’ailleurs une contrainte que de soumettre sa philosophie à sa théologie, c’en est une autre, et non moins dure, que de soumettre sa théologie à sa physique. Le problème qui s’agite est de savoir si la « Science » est juge de la « Religion » ? On ne le résout pas, et on ne pense pas librement, quand on commence par poser qu’en tout état de cause on interrogera la « Science » sur la valeur de

    un parti pris est légitime ». Mais, du moment qu’il est permis ou possible de « prendre parti », c’est donc que la vérité n’apparaît pas, n’éclate pas, ne s’impose pas avec une évidence entière ! Et voilà pourquoi j’aimerais que l’on n’abusât pas de cette manière emphatique de parler, et qu’on ne fît pas un mérite aux uns « d’avoir aimé la vérité », comme si les autres, ceux qui ne pensent pas comme eux, ne l’avaient pas aimée !

    L’abbé Le Hir, son professeur d’hébreu, dont il a fait un si bel éloge dans ses Souvenirs de Jeunesse, ne s’est jamais senti, je ne dis pas ébranlé, mais inquiété seulement dans sa foi par les « raisons philologiques » qui ont détaché Renan du christianisme. Lequel des deux a le plus « aimé la vérité » ? Pourquoi ne serait-ce pas l’abbé Le Hir ? Et en tout cas, de quel droit dira-t-on que Renan l’ait « aimée » davantage ?