Aller au contenu

Page:Brunetière - Cinq lettres sur Ernest Renan, 1904.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puté, — le droit d’exprimer librement sa pensée ? À ce compte, nous sommes donc tous des « apôtres de la tolérance », — et j’avoue que, pour ma part, je n’y vois pas de difficultés : je suis un « apôtre de la tolérance ». Ed’anch’io[1]

Mais si les discours de Tréguier n’ont rien eu que d’assez insignifiant, — et surtout d’assez attendu, — ce sont nos journaux parisiens qui,

  1. Il en est de ce mot de « Tolérance » comme de celui de « Vérité » : beaucoup de gens l’emploient, mais peu le placent bien.

    Je ne saurais avoir la prétention de l’expliquer ou de le définir dans une note, mais ce que je voudrais qui fût bien entendu c’est qu’il n’implique pas « l’approbation » de ce qu’on a tolère » et qu’on a toujours le droit d’opposer des « idées » à des « idées ». S’il en était autrement, c’est Renan lui-même qui serait un modèle d’« intolérance», n’ayant passé quarante ans de sa vie qu’à opposer ses « idées » sur le christianisme à celles de Bossuet, par exemple, et même de quelques-uns de ses propres contemporains.

    Mais l’« intolérance » ne commence qu’au moment et au point précis où ce ne sont plus des « idées » ni des « mots » qu’on oppose à des « idées », mais des arguments d’un autre ordre, et par exemple, quand on nous empêche d’écrire ou de parler. Aussi ne prouve-t-on pas sa « tolérance » en réclamant ce droit pour soi-même, et les plus intolérants des hommes l’ont bien su faire, mais en le revendiquant pour les autres, et en le leur assurant, pour sa part, quoique leurs « idées » soient contraires aux nôtres.

    Si Renan l’a fait j’aimerais qu’on me l’eût dit ; qu’on me le rappelât, si je déviais le savoir, et que je l’eusse oublié ; alors je saluerais volontiers en lui « un apôtre de la tolérance ». J’aimerais aussi que l’on m’apprît (car je l’ignore) comment il eût pu, quand même il l’eût voulu, faire preuve d’« intolérance ». La facilité n’en est guère donnée de nos jours qu’aux hommes politiques ou à ceux qui disposent de quelque pouvoir effectif !