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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 1.djvu/122

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Par exemple, la déclinaison de l’aiguille, à Paris, était, en 1580, de onze degrés à l’est. Le pôle magnétique, c’est-à-dire les masses ferrugineuses et magnétiques qui le formaient étaient donc situées dans le nord de l’Europe, et peut-être en Sibérie ; mais comme, depuis cette année 1580, l’on a commencé à défricher quelques terrains dans l’Amérique septentrionale, et qu’on a découvert et travaillé des mines de fer en Canada et dans plusieurs autres parties de cette région de l’Amérique, l’aiguille s’est peu à peu portée vers l’ouest par l’attraction de ces mines nouvelles plus puissante que celle des anciennes ; et ce mouvement progressif de l’aiguille pourrait devenir rétrograde, s’il se découvrait dans le nord de l’Europe et de l’Asie d’autres grandes masses ferrugineuses qui, par leur exposition à l’air et leur aimantation, deviendraient bientôt des pôles magnétiques aussi, et peut-être plus puissants que celui qui détermine aujourd’hui la déclinaison de l’aiguille vers le nord de l’Amérique, et dont l’existence est prouvée par les observations.

Parmi ces causes tout accidentelles qui doivent faire changer la direction de l’aimant, l’on doit compter comme l’une des plus puissantes l’éruption des volcans, et les torrents de laves et de basaltes dont la substance est toujours mêlée de beaucoup de fer. Ces laves et ces basaltes occupent souvent de très grandes étendues à la surface de la terre, et doivent par conséquent influer sur la direction de l’aimant ; en sorte qu’un volcan qui, par ses éjections, produit souvent de longues chaînes de collines composées de laves et de basaltes, forme, pour ainsi dire, de nouvelles mines de fer dont l’action doit seconder ou contrarier l’effet des autres mines sur la direction de l’aimant.

Nous pouvons même assurer que ces basaltes peuvent former non seulement de nouvelles mines de fer, mais aussi de véritables masses d’aimant, car leurs colonnes ont souvent des pôles bien décidés d’attraction et de répulsion. Par exemple, les colonnades de basalte des bords de la Volane, près de Val en Vivarais, ainsi que celles de la montagne de Chenavari, près de Rochemaure, qui ont plus de douze pieds de hauteur, présentent plusieurs colonnes douées de cette vertu magnétique, laquelle peut leur avoir été communiquée par les foudres électriques, ou par le magnétisme général du globe[1].

Il en est de même des tremblements de terre et des bouleversements que produisent leurs mouvements subits et désastreux : ce sont les foudres de l’électricité souterraine dont les coups frappent et soulèvent par secousses de grandes portions de terre, et dès lors, toute la matière ferrugineuse qui se trouve dans cette grande étendue devient magnétique par l’action de cette foudre électrique ; ce qui produit encore de nouvelles mines attirables à l’aimant, dans les lieux où il n’existait auparavant que du fer en rouille, en ocre, et qui, dans cet état, n’était point magnétique.

Les grands incendies des forêts produisent aussi une quantité considérable de matière ferrugineuse et magnétique. La plus grande partie des terres du nouveau monde était non seulement couverte, mais encore encombrée de bois morts ou vivants auxquels on a mis le feu pour donner du jour, et rendre la terre susceptible de culture. Et c’est surtout dans l’Amérique septentrionale que l’on a brûlé et que l’on brûle encore ces immenses forêts dans une vaste étendue ; et cette cause particulière peut avoir influé sur la déclinaison vers l’ouest de l’aimant en Europe.

On ne doit donc regarder la déclinaison de l’aimant que comme un effet purement accidentel, et le magnétisme comme un produit particulier de l’électricité du globe. Nous allons exposer en détail tous les faits qui ont rapport aux phénomènes de l’aimant, et l’on verra qu’aucun ne démentira la vérité de cette assertion.


  1. Note communiquée par M. Faujas de Saint-Fond.