Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/119

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courage, mais il n’attaque guère que les cadavres ; et s’il chasse quelquefois, c’est, en se réunissant en grandes troupes, pour tomber en grand nombre sur quelque animal endormi ou blessé.

Le marchand est le même oiseau que celui qu’a décrit Kolbe sous le nom d’aigle du Cap[NdÉ 1] ; il se trouve donc également dans le continent de l’Afrique et dans celui de l’Amérique méridionale, et comme on ne le voit pas fréquenter les terres du Nord, il paraît qu’il a traversé la mer entre le Brésil et la Guinée. Hans Sloane, qui a vu et observé plusieurs de ces oiseaux en Amérique, dit qu’ils volent comme les milans, qu’ils sont toujours maigres. Il est donc très possible qu’étant aussi légers de vol et de corps, ils aient franchi l’intervalle de mer qui sépare les deux continents. Hernandès dit qu’ils ne se nourrissent que de cadavres d’animaux et même d’excréments humains ; qu’ils se rassemblent sur de grands arbres d’où ils descendent en troupes pour dévorer les charognes ; il ajoute que leur chair a une mauvaise odeur, plus forte que celle de la chair du corbeau. Nieremberg dit aussi qu’ils volent très haut et en grandes troupes ; qu’ils passent la nuit sur des arbres ou des rochers très élevés d’où ils partent le matin pour venir autour des lieux habités ; qu’ils ont la vue très perçante, et qu’ils voient de très haut et de très loin les animaux morts qui peuvent leur servir de pâture ; qu’ils sont très silencieux, ne criant ni ne chantant jamais, et qu’on ne les entend que par un murmure peu fréquent ; qu’ils sont très communs dans les terres de l’Amérique méridionale, et que leurs petits sont blancs dans le premier âge, et deviennent ensuite bruns ou noirâtres en grandissant. Marcgrave, dans la description qu’il donne de cet oiseau, dit qu’il a les pieds blanchâtres, les yeux beaux, et pour ainsi dire couleur de rubis ; la langue en gouttière et en scie sur les côtés. Ximenès assure que ces oiseaux ne volent jamais qu’en grandes troupes et toujours très haut ; qu’ils tombent tous ensemble sur la même proie qu’ils dévorent jusqu’aux os, et sans aucun débat entre eux, et qu’ils se remplissent au point de ne pouvoir reprendre leur vol : ce sont de ces mêmes oiseaux dont Acosta fait mention sous le nom de poullazes[1], « qui sont, dit-il, d’une admirable légèreté, ont la vue très perçante, et qui sont fort propres pour nettoyer les cités, d’autant qu’ils n’y laissent aucunes charognes ni choses mortes ; ils passent la nuit sur les arbres ou sur les rochers, et au matin viennent aux cités, se mettent sur le sommet des plus hauts édifices, d’où ils épient et attendent leur prise ; leurs petits ont le plumage blanc, qui change ensuite en noir avec l’âge. » « Je crois, dit Desmarchais, que ces oiseaux, appelés gallinaches par les Portugais, et marchands

  1. Histoire des Indes, par Joseph Acosta, p. 196.
  1. L’aigle du Cap est le Vultur ou Gyps Kolbii de Daudin [Note de Wikisource : actuellement Gyps coprotheres Forster], nommé vulgairement chassefiente.