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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/120

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par les Français de Saint-Domingue, sont une espèce de coqs d’Inde[1], qui au lieu de vivre de grains, de fruits et d’herbes comme les autres, se sont accoutumés à être nourris de corps morts et de charognes ; ils suivent les chasseurs, surtout ceux qui ne vont à la chasse que pour la peau des bêtes ; ces gens abandonnent les chairs, qui pourriraient sur les lieux et infecteraient l’air sans le secours de ces oiseaux, qui ne voient pas plus tôt un corps écorché, qu’ils s’appellent les uns les autres, et fondent dessus comme des vautours, et en moins de rien en dévorent la chair et laissent les os aussi nets que s’ils avaient été raclés avec un couteau. Les Espagnols des grandes îles et de la terre ferme, aussi bien que les Portugais, habitants des lieux où l’on fait des cuirs, ont un soin tout particulier de ces oiseaux, à cause du service qu’ils leur rendent en dévorant les corps morts et empêchant ainsi qu’ils ne corrompent l’air ; ils condamnent à une amende les chasseurs qui tombent dans cette méprise ; cette protection a extrêmement multiplié cette vilaine espèce de coqs d’Inde : on en trouve en bien des endroits de la Guyane, aussi bien que du Brésil, de la Nouvelle-Espagne et des grandes îles ; ils ont une odeur de charogne que rien ne peut ôter ; on a beau leur arracher le croupion dès qu’on les a tués, leur ôter les entrailles, tous ces soins sont inutiles : leur chair dure, coriace, filasseuse, a contracté une mauvaise odeur insupportable. »

« Ces oiseaux, dit Kolbe, se nourrissent d’animaux morts ; j’ai moi-même vu plusieurs fois des squelettes de vaches, de bœufs et d’animaux sauvages qu’ils avaient dévorés ; j’appelle ces restes des squelettes, et ce n’est pas sans fondement, puisque ces oiseaux séparent avec tant d’art les chairs d’avec les os et la peau, que ce qui reste est un squelette parfait, couvert encore de la peau, sans qu’il y ait rien de dérangé ; on ne saurait même s’apercevoir que ce cadavre est vide que lorsqu’on en est tout près ; pour cela, voici comment ils s’y prennent : d’abord ils font une ouverture au ventre de l’animal, d’où ils arrachent les entrailles, qu’ils mangent, et entrant dans le vide qu’ils viennent de faire ils séparent les chairs ; les Hollandais du Cap appellent ces aigles stront-vogels ou strontjagers[2], c’est-à-dire oiseaux de fiente, ou qui vont à la chasse de la fiente ; il arrive souvent qu’un bœuf qu’on laisse retourner seul à son étable, après l’avoir ôté de la charrue, se couche sur le chemin pour se reposer ; si ces aigles l’aperçoivent elles tombent immanquablement sur lui et le dévorent ; lorsqu’elles veulent attaquer une vache ou un bœuf, elles se

  1. Quoique cet oiseau ressemble au coq d’Inde par la tête, le cou et la grandeur du corps, il n’est pas de ce genre ; mais de celui du vautour, dont il a non seulement le naturel et les mœurs, mais encore le bec crochu et les serres.
  2. Cette espèce d’aigle est appelée turkey buzzard, dindon-buse, par Catesby, Hist. nat. Carol., tab. vi ; et par Hans Sloane, Hist. nat. Jamaïc. etc. Note de l’éditeur de Kolbe.