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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/122

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tout des déserts, qu’il faut tirer les mœurs de la nature : nos animaux, et même nos oiseaux, continuellement fugitifs devant nous, n’ont pu conserver leurs véritables habitudes naturelles, et c’est dans celles de ce vautour des déserts de l’Amérique que nous devons voir ce que seraient celles de nos vautours s’ils n’étaient pas sans cesse inquiétés dans nos contrées, trop habitées pour les laisser se rassembler, se multiplier et se nourrir en si grand nombre ; ce sont là leurs mœurs primitives : partout ils sont voraces, lâches, dégoûtants, odieux, et, comme les loups, aussi nuisibles pendant leur vie qu’inutiles après leur mort.


LE CONDOR

Si la faculté de voler est un attribut essentiel à l’oiseau, le condor[NdÉ 1] doit être regardé comme le plus grand de tous ; l’autruche, le casoar, le dronte, dont les ailes et les plumes ne sont pas conformées pour le vol, et qui par cette raison ne peuvent quitter la terre, ne doivent pas lui être comparés : ce sont, pour ainsi dire, des oiseaux imparfaits, des espèces d’animaux terrestres, bipèdes, qui font une nuance mitoyenne entre les oiseaux et les quadrupèdes dans un sens, tandis que les roussettes, les rougettes et les chauves-souris font une semblable nuance, mais en sens contraire, entre les quadrupèdes et les oiseaux. Le condor possède même à un plus haut degré que l’aigle toutes les qualités, toutes les puissances que la nature a départies aux espèces les plus parfaites de cette classe d’êtres ; il a jusqu’à dix-huit pieds de vol ou d’envergure, le corps, le bec et les serres à proportion aussi grandes et aussi fortes, le courage égal à la force, etc. Nous ne pouvons mieux faire, pour donner une idée juste de la forme et des proportions de son corps, que de rapporter ce qu’en dit le P. Feuillée, le seul de tous les naturalistes et voyageurs qui en ait donné une description détaillée. « Le condor est un oiseau de proie de la vallée d’Ylo au Pérou… J’en découvris un qui était perché sur un grand rocher ; je l’approchai à portée de fusil et le tirai ; mais comme mon fusil n’était chargé que de gros plomb, le coup ne put entièrement percer la plume de son parement ; je m’aperçus cependant à son vol qu’il était blessé, car, s’étant levé fort lourdement, il eut assez de peine à arriver sur un autre grand rocher à cinq cents pas de là, sur le bord de la mer ; c’est pourquoi je chargeai de nouveau mon fusil d’une balle et perçai l’oiseau au-dessous

  1. Sarcorhamphus Gryphus Geoff. [Note de Wikisource : actuellement Vultur Gryphus Linnæus]. Les Sarcorhamphus sont des Rapaces de la famille des Vulturidés, caractérisés par une grande taille ; un bec long, droit, muni à la base d’une cire et d’un lobe cutané, recourbé seulement à l’extrémité ; un cou muni d’une collerette ; des ailes grandes, larges, arrondies ; des pieds forts, terminés par des ongles courts et émoussés. [Note de Wikisource : Le genre Sarcoramphus Duméril a été scindé et ne contient aujourd’hui que le vautour pape (cf. article précédent), dont le parent le plus proche est le condor, maintenant affecté au genre monospécifique Vultur.]