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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/148

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dans les années suivantes. Le bec est d’un bleu sale, et la membrane qui en couvre la base est d’un bleu livide ; les jambes sont dénuées de plumes, et les doigts des pieds sont d’un jaune foncé ; les ongles sont noirâtres, et les plumes de la queue, qui sont brunes, sont marquées par des raies transversales fort larges, de couleur d’un gris sale. Le mâle a sous la gorge, dans cette première année d’âge, les plumes mêlées d’une couleur roussâtre, ce que n’a pas la femelle, à laquelle il ressemble sur tout le reste, à l’exception de la grosseur, qui, comme nous l’avons dit, est de plus d’un tiers au-dessous.

On a remarqué que, quoique le mâle fût beaucoup plus petit que la femelle, il était plus féroce et plus méchant ; ils sont tous deux assez difficiles à priver ; ils se battaient souvent, mais plus des griffes que du bec, dont ils ne se servent guère que pour dépecer les oiseaux ou autres petits animaux, ou pour blesser et mordre ceux qui les veulent saisir : ils commencent par se défendre de la griffe, se renversent sur le dos en ouvrant le bec et cherchent beaucoup plus à déchirer avec les serres qu’à mordre avec le bec. Jamais on ne s’est aperçu que ces oiseaux, quoique seuls dans la même volière, aient pris de l’affection l’un pour l’autre[NdÉ 1] ; ils y ont cependant passé la saison entière de l’été, depuis le commencement de mai jusqu’à la fin de novembre, où la femelle, dans un accès de fureur, tua le mâle dans le silence de la nuit, à neuf ou dix heures du soir, tandis que tous les autres oiseaux étaient endormis : leur naturel est si sanguinaire que, quand on laisse un autour en liberté avec plusieurs faucons, il les égorge tous les uns après les autres ; cependant il semble manger de préférence les souris, les mulots et les petits oiseaux ; il se jette avidement sur la chair saignante et refuse assez constamment la viande cuite ; mais, en le faisant jeûner, on peut le forcer de s’en nourrir ; il plume les oiseaux fort proprement et ensuite les dépèce avant de les manger, au lieu qu’il avale les souris tout entières. Ses excréments sont blanchâtres et humides : il rejette souvent par le vomissement

  1. L’autour est un oiseau extrêmement sauvage et solitaire ; il ne vit avec sa femelle que pendant l’époque des amours. La vie solitaire des autours est due, sans nul doute, à leur voracité. Toutes les fois qu’on met ensemble des autours dans une volière, ils s’entredévorent, alors même qu’on leur fournit une alimentation paraissant suffisamment abondante. À l’état libre, ils se jettent sur tous les animaux qu’ils rencontrent et chassent pendant toute la journée, même en plein midi, alors que tous les autres rapaces se livrent au repos. Leur vol est extrêmement rapide. Ils usent aussi de ruse et déploient parfois une très grande ingéniosité. Le comte Wodzicki, cité par Brehm, raconte qu’un autour, afin de surprendre des pigeons très défiants, restait des heures entières immobile sous un toit de chaume, les plumes hérissées et le cou rentré. « Ainsi posé, il ressemblait tout à fait à un hibou. Les pigeons devinrent plus confiants, se perchèrent sur le toit ; l’oiseau de proie ne bougea pas ; mais, quand ils se mirent à sortir sans crainte du pigeonnier et à y rentrer, il fondit sur eux et en saisit un. » Un autre autour, chassant au voisinage du même pigeonnier, se montrait encore plus rusé. Il arrivait tous les jours à la même heure et chassait les pigeons dans leur pigeonnier ; puis il se posait sur le toit et le frappait à coups d’aile jusqu’à ce qu’un pigeon effrayé sortit ; il fondait alors aussitôt sur lui et s’en emparait.