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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/231

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les plus pesants, les moins agiles, et qui dénués des instruments nécessaires à l’exercice du vol, ne peuvent ni s’élever ni se soutenir dans l’air ; et nous trouverons que cette extrémité inférieure du faisceau se divise en deux branches, dont l’une contient les oiseaux terrestres, tels que l’autruche, le touyou, le casoar, le dronte, etc., qui ne peuvent quitter la terre ; et l’autre se projette de côté sur les pingoins et autres oiseaux aquatiques, auxquels l’usage ou plutôt le séjour de la terre et de l’air sont également interdits, et qui ne peuvent s’élever au-dessus de la surface de l’eau, qui paraît être leur élément particulier. Ce sont là les deux extrêmes de la chaîne que nous avons raison de considérer avant de vouloir saisir les milieux, qui tous s’éloignent plus ou moins, ou participent inégalement de la nature de ces extrêmes, et sur lesquels milieux nous ne pourrions jeter en effet que des regards incertains, si nous ne connaissions pas les limites de la nature par la considération attentive des points où elles sont placées. Pour donner à cette vue métaphysique toute son étendue, et en réaliser les idées par de justes applications, nous aurions dû, après avoir donné l’histoire des animaux quadrupèdes, commencer celle des oiseaux par ceux dont la nature approche le plus de celle de ces animaux. L’autruche, qui tient d’une part au chameau par la forme de ses jambes, et au porc-épic par les tuyaux ou piquants dont ses ailes sont armées, devait donc suivre les quadrupèdes ; mais la philosophie est souvent obligée d’avoir l’air de céder aux opinions populaires, et le peuple des naturalistes, qui est fort nombreux, souffre impatiemment qu’on dérange ses méthodes, et n’aurait regardé cette disposition que comme une nouveauté déplacée, produite par l’envie de contredire, ou le désir de faire autrement que les autres : cependant on verra qu’indépendamment des deux rapports extérieurs dont je viens de parler, indépendamment de l’attribut de la grandeur, qui seul suffirait pour faire placer l’autruche à la tête de tous les oiseaux, elle a encore beaucoup d’autres conformités par l’organisation intérieure avec les animaux quadrupèdes, et que tenant presque autant à cet ordre qu’à celui des oiseaux, elle doit être donnée comme faisant la nuance entre l’un et l’autre.

Dans chacune de ces suites ou chaînes, qui soutiennent un ordre entier de la nature vivante, les rameaux qui s’étendent vers d’autres ordres sont toujours assez courts et ne forment que de très petits genres. Les oiseaux qui ne peuvent voler se réduisent à sept ou huit espèces ; les quadrupèdes qui volent à cinq ou six ; et il en est de même de toutes les autres branches qui s’échappent de leur ordre ou du faisceau principal ; elles y tiennent toujours par le plus grand nombre de conformités, de ressemblances, d’analogies, et n’ont que quelques rapports et quelques convenances avec les autres ordres : ce sont, pour ainsi dire, des traits fugitifs que la nature paraît n’avoir tracés que pour nous indiquer toute l’étendue de sa puissance et faire sentir au philosophe qu’elle ne peut être contrainte par les entraves de nos méthodes, ni renfermée dans les bornes étroites du cercle de nos idées.