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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/233

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les écrits des premiers philosophes qui ont traité des choses naturelles ; en effet, comment un animal si considérable par sa grandeur, si remarquable par sa forme, si étonnant par sa fécondité, attaché d’ailleurs par sa nature à un certain climat, qui est l’Afrique et une partie de l’Asie, aurait-il pu demeurer inconnu dans des pays si anciennement peuplés, où il se trouve à la vérité des déserts, mais où il ne s’en trouve point que l’homme n’ait pénétrés et parcourus[NdÉ 1] ?

La race de l’autruche est donc une race très ancienne, puisqu’elle prouve jusqu’aux premiers temps, mais elle n’est pas moins pure qu’elle est ancienne ; elle a su se conserver pendant cette longue suite de siècles, et toujours dans la même terre[NdÉ 2], sans altération comme sans mésalliance : en sorte qu’elle est dans les oiseaux, comme l’éléphant dans les quadrupèdes, une espèce entièrement isolée et distinguée de toutes les autres espèces par des caractères aussi frappants qu’invariables.

L’autruche passe pour être le plus grand des oiseaux, mais elle est privée par sa grandeur même de la principale prérogative des oiseaux, je veux dire la puissance de voler : l’une de celles sur qui Vallisnieri a fait ses observations pesait, quoique très maigre, cinquante-cinq livres tout écorchée et vidée de ses parties intérieures ; en sorte que passant vingt à vingt-cinq livres pour ces parties et pour la graisse qui lui manquait[1], on peut, sans rien outrer, fixer

    comme de serpents et d’ânes cornus, d’acéphales, etc., et l’on sait que ce père de l’histoire n’était pas toujours ennemi des fables ni du merveilleux.

    À l’égard des deux autres espèces de strouthos, l’aérien et l’aquatique, je ne puis non plus accorder à M. Salerne que ce soit notre moineau et le poisson nommé plie, ni imputer avec lui à la langue grecque, si riche, si belle, si sage, l’énorme disparate de comprendre sous un même nom des êtres aussi dissemblables que l’autruche, le moineau et une espèce de poisson. S’il fallait prendre un parti sur les deux dernières sortes de strouthos, l’aérien et l’aquatique, je dirais que le premier est cette outarde à long cou, qui porte encore aujourd’hui dans plus d’un endroit de l’Afrique le nom d’autruche volante, et que le second est quelque gros oiseau aquatique à qui sa pesanteur ou la faiblesse de ses ailes ne permet pas de voler.

  1. Ses deux ventricules, bien nettoyés, pesaient seuls six livres ; le foie, une livre huit onces ; le cœur, avec ses oreillettes et les troncs des gros vaisseaux, une livre sept onces ; les deux pancréas, une livre ; et il faut remarquer que les intestins, qui sont très longs et très gros, doivent être d’un poids considérable. Voyez Notomia dello Struzzo, t. Ier des œuvres de Vallisnieri, p. 239 et suiv.
  1. L’Autruche habite toutes les parties des déserts de l’Afrique dans lesquelles se trouvent des oasis. Son extension géographique était probablement plus considérable autrefois qu’elle ne l’est actuellement. C’est, sans nul doute, l’homme qui l’a détruite dans certaines parties de l’Afrique où l’on sait qu’elle existait dans des temps plus ou moins reculés et d’où elle a complètement disparu. Les régions dans lesquelles on la trouve encore à l’état sauvage sont : le Sahara, depuis le versant méridional de l’Atlas jusqu’au Nil ; le désert de Lybie, les steppes de l’Afrique centrale et celles du sud de ce continent. Elle vit toujours en troupeaux considérables.
  2. C’est probablement parce que l’Autruche s’est toujours maintenue « dans la même terre », c’est-à-dire dans le même milieu qu’elle a, depuis les temps historiques, conservé les mêmes caractères.