Aller au contenu

Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

incubation philosophique[NdÉ 1] n’eut aucun succès. M. de Réaumur n’existait pas encore.

Ces œufs sont très durs, très pesants et très gros ; mais on se les représente quelquefois encore plus gros qu’ils ne sont en effet[NdÉ 2], en prenant des œufs de crocodile pour des œufs d’autruche[1] : on a dit qu’ils étaient comme la tête d’un enfant[2], qu’ils pouvaient contenir jusqu’à une pinte de liqueur[3], qu’ils pesaient quinze livres[4], et qu’une autruche en pondait cinquante dans une année[5] : Élien a dit jusqu’à quatre-vingts ; mais la plupart de ces faits me paraissent évidemment exagérés ; car, 1o comment se peut-il faire qu’un œuf dont la coque ne pèse pas plus d’une livre, et qui contient au plus une pinte de liqueur, soit du poids total de quinze livres ? il faudrait pour cela que le blanc et le jaune de cet œuf fussent sept fois plus denses que l’eau, trois fois plus que le marbre, et à peu près autant que l’étain, ce qui est dur à supposer.

2o En admettant, avec Willughby, que l’autruche pond dans une année cinquante œufs pesant quinze livres chacun, il s’ensuivrait que le poids total de la ponte serait de sept cent cinquante livres, ce qui est beaucoup pour un animal qui n’en pèse que quatre-vingts.

Il me paraît donc qu’il y a une réduction considérable à faire, tant sur le poids des œufs que sur leur nombre, et il est fâcheux qu’on n’ait pas de mémoires assez sûrs pour déterminer avec justesse la quantité de cette réduction ; on pourrait, en attendant, fixer le nombre des œufs, d’après Aristote, à vingt-cinq ou trente ; et, d’après les modernes qui ont parlé le plus sagement, à trente-six ; en admettant deux ou trois couvées, et douze œufs par chaque couvée, on pourrait encore déterminer le poids de chaque œuf à trois ou quatre livres, en passant une livre plus ou moins pour la coque, et deux ou trois livres pour la pinte de blanc et de jaune qu’elle contient ; mais il y a bien loin de cette fixation conjecturale à une observation précise. Beaucoup de gens écrivent, mais il en est peu qui mesurent, qui pèsent, qui comparent ; de quinze ou seize autruches dont on a fait la dissection en différents pays, il n’y en a qu’une seule qui ait été pesée, et

  1. Belon, Hist. nat. des oiseaux, p. 239.
  2. Willughby, Ornithologia, p. 105.
  3. Belon, Hist. nat. des oiseaux, p. 233.
  4. Léon l’Africain, Description de l’Afrique, lib. ix. — Willughby, ubi supra.
  5. Willughby, ibidem.
  1. Buffon raille, sous le nom « d’incubation philosophique », un procédé d’incubation des œufs qui a, depuis son époque, rendu les plus grands services à la science et à l’industrie sous le nom « d’incubation artificielle ».
  2. Buffon commet une erreur en disant que l’on a pris des œufs de crocodile pour des œufs d’autruche. Les œufs du crocodile sont beaucoup moins volumineux que ceux de l’autruche. Ces derniers pèsent, en réalité, jusqu’à 1 442 grammes, c’est-à-dire environ 24 fois plus que ceux de la poule. Ils sont ovoïdes, arrondis aux deux bouts, pourvus d’une coquille brillante, très dure et très épaisse, colorée en blanc jaunâtre et marbrée de jaunâtre clair.