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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/292

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ment était de la grosseur d’une outarde, ainsi que Pline[1] et Gaza le traduisent[2] ; d’ailleurs, pour peu qu’Aristote connût l’outarde, il ne pouvait ignorer qu’elle ne se perche point.

Le nom composé de trapp-gansz, que les Allemands ont appliqué à cet oiseau, a donné lieu à d’autres erreurs : trappen signifie marcher, et l’usage a attaché à ses dérivés une idée accessoire de lenteur, de même qu’au gradatim des Latins et à l’andante des Italiens ; et en cela le mot trapp peut très bien être appliqué à l’outarde, qui, lorsqu’elle n’est point poursuivie, marche lentement et pesamment ; il lui conviendrait encore, quand cette idée accessoire de lenteur n’y serait point attachée, parce qu’en caractérisant un oiseau par l’habitude de marcher, c’est dire assez qu’il vole peu.

À l’égard du mot gansz, il est susceptible d’équivoque ; ici il doit peut-être s’écrire, comme je l’ai écrit, avec un Z final, et de cette manière il signifie beaucoup, et annonce un superlatif ; au lieu que lorsqu’on l’écrit par un S, gans, il signifie une oie : quelques auteurs l’ayant pris dans ce dernier sens l’ont traduit en latin par anser trappus, et cette erreur de nom influant sur la chose, on n’a pas manqué de dire que l’outarde était un oiseau aquatique qui se plaisait dans les marécages[3], et Aldrovande lui-même, qui avait été averti de cette équivoque de noms par un médecin hollandais, et qui penchait à prendre le mot gansz dans le même sens que moi[4], fait cependant dire à Belon, en le traduisant en latin, que l’outarde aime les marécages[5], quoique Belon dise précisément le contraire[6] ; et cette erreur en produisant une autre, on a donné le nom d’outarde à un oiseau véritablement aquatique, à une espèce d’oie noire et blanche que l’on trouve en Canada et dans plusieurs endroits de l’Amérique septentrionale[7]. C’est sans doute par une suite de cette méprise qu’on envoya d’Écosse, à Gessner, la figure d’un oiseau palmipède sous le nom de gustarde[8], qui est le nom que l’on donne dans ce pays à l’outarde véritable, et que Gessner fait dériver de tarde, lent, tardif, et de guss et gooss, qui, en hollandais et en anglais, signifie une oie[9] : voilà donc l’outarde, qui est un oiseau tout

  1. Nat. Historia, lib. x, cap. xxxiii.
  2. Hist. animalium, lib. ix, cap. xxxiii.
  3. Sylvaticus apud Gesnerum, page 488.
  4. Ornitholog., t. II, page 86.
  5. Ibidem, page 92.
  6. « La nature de l’outarde est de vivre par les spacieuses campagnes, comme l’autruche, fuyant l’eau sur toutes choses… ne hanter les eaux, n’était de celle qui reste entre les seillons, après avoir plû, ou bien qu’elle hantât les marres pour en boire. » Belon, Nature des oiseaux, lib. v, cap. iii.
  7. Voyez Histoire et description de la Nouvelle-France, par le P. Charlevoix, t. III, p. 156. — Voyage du capitaine Robert Lade, t. II, p. 202. — Voyage du P. Théodat, p. 300. — Lettres Édifiantes, XIe Recueil, p. 310 ; et XXIIIe Recueil, p. 238, etc.
  8. Gessner, de Avibus, pages 164 et 489.
  9. Ibidem, p. 142.