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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/293

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à fait terrestre, travestie en un oiseau aquatique avec lequel elle n’a cependant presque rien de commun, et cette bizarre métamorphose a été produite évidemment par une équivoque de mots ; ceux qui ont voulu justifier ou excuser le nom d’anser trappus ou trapp-gans, ont été réduits à dire, les uns que les outardes volaient par troupes comme les oies[1], les autres qu’elles étaient de la même grosseur[2], comme si la grosseur ou l’habitude de voler par troupes pouvaient seules caractériser une espèce : à ce compte les vautours et les coqs de bruyère pourraient être rangés avec l’oie ; mais c’est trop insister sur une absurdité, je me hâte de terminer cette liste d’erreurs, et cette critique, peut-être un peu longue, mais que j’ai crue nécessaire.

Belon a prétendu que le tetrao alter de Pline[3] était l’outarde[4], mais c’est sans fondement, puisque Pline parle au même endroit de l’avis tarda : il est vrai que Belon, défendant son erreur par une autre, avance que l’avis tarda des Espagnols et l’otis des Grecs désignent le duc ; mais il faudrait prouver auparavant : 1o que l’outarde se tient sur les hautes montagnes, comme Pline l’assure du tetrao alter (gignunt eos Alpes[5]), ce qui est contraire à ce qui a été dit de cet oiseau par tous les naturalistes, excepté M. Barrère[6] ; 2o que le duc, et non l’outarde, a été en effet connu en Espagne sous le nom d’avis tarda, et, en grec, sous celui d’otis : assertion insoutenable et combattue par le témoignagne de presque tous les écrivains. Ce qui peut avoir trompé Belon, c’est que Pline donne son second tetrao comme un des plus beaux oiseaux après l’autruche, ce qui, suivant Belon, ne peut convenir qu’à l’outarde ; mais nous verrons dans la suite que le grand tetras ou coq de bruyère surpasse quelquefois l’outarde en grosseur : et si Pline ajoute que la chair de cette avis tarda est un mauvais manger, ce qui convient beaucoup mieux à l’otus hibou, ou moyen duc, qu’à l’otis outarde, Belon aurait pu soupçonner que ce naturaliste confond ici l’otis avec l’otus, comme je l’ai remarqué plus haut, et qu’il attribue à une seule espèce les propriétés de deux espèces très différentes, désignées dans ses recueils par des noms presque semblables ; mais il n’aurait pas dû conclure que l’avis tarda est en effet un duc.

Le même Belon penchait à croire que son œdicnemus était un ostardeau[7], et, en effet, cet oiseau n’a que trois doigts, et tous antérieurs comme l’outarde ; mais il a le bec très différent, le tarse plus gros, le cou plus court,

  1. Longolius, apud Gesn., page 486.
  2. Frisch, planche cvi.
  3. Nat. Hist., lib. x, cap. xxii.
  4. Histoire naturelle des oiseaux, lib. v, cap. iii.
  5. Plin., Nat. Hist., lib. x, cap. xxii.
  6. M. Barrère reconnaît deux outardes d’Europe, mais il est le seul qui les donne pour des oiseaux des Pyrénées ; et l’on sait que cet auteur, né en Roussillon, rapportait aux montagnes des Pyrénées tous les animaux des provinces adjacentes.
  7. Histoire naturelle des oiseaux, lib. v, cap. v.