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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/302

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cette mère inquiète se défie des chasseurs, et qu’elle craint qu’on n’en veuille à ses œufs, elle les prend sous ses ailes[NdÉ 1] (on ne dit pas comment) et les transporte en lieu sûr[1]. Elle s’établit ordinairement dans les blés qui approchent de la maturité pour y faire sa ponte, suivant en cela l’instinct commun à tous les animaux de mettre leurs petits à portée de trouver en naissant une nourriture convenable. M. Klein prétend qu’elle préfère les avoines comme plus basses, en sorte qu’étant posée sur ses œufs sa tête domine sur la campagne, et qu’elle puisse avoir l’œil sur ce qui se passe autour d’elle ; mais ce fait, avancé par M. Klein[2], ne s’accorde ni avec le sentiment général des naturalistes, ni avec le naturel de l’outarde, qui, sauvage et défiante comme elle l’est, doit chercher sa sûreté plutôt en se cachant dans les grands blés qu’en se tenant à portée de voir les chasseurs de loin, au risque d’en être elle-même aperçue[NdÉ 2].

Elle quitte quelquefois ses œufs pour aller chercher sa nourriture ; mais si, pendant ses courtes absences, quelqu’un les touche ou les frappe seulement de son haleine, on prétend qu’elle s’en aperçoit à son retour et qu’elle les abandonne[3].

L’outarde, quoique fort grosse, est un animal très craintif et qui paraît n’avoir ni le sentiment de sa propre force, ni l’instinct de l’employer ; elles s’assemblent quelquefois par troupes de cinquante ou soixante, et ne sont pas plus rassurées par leur nombre que par leur force et leur grandeur ; la moindre apparence de danger, ou plutôt la moindre nouveauté les effraie, et elles ne pourvoient guère à leur conservation que par la fuite ; elles craignent surtout les chiens, et cela doit être, puisqu’on se sert communément des chiens pour leur donner la chasse ; mais elles doivent craindre aussi le renard, la fouine et tout autre animal, si petit qu’il soit, qui sera assez hardi pour les attaquer ; à plus forte raison les animaux féroces et même les oiseaux de proie, contre lesquels elles oseraient bien moins se défendre : leur pusillanimité est telle, que, pour peu qu’on les blesse, elles meurent plutôt de la peur que de leurs blessures[4]. M. Klein prétend néanmoins qu’elles se mettent quelquefois en colère, et qu’alors on voit s’enfler une

  1. Klein, Hist. Avium, page 18.
  2. Ibidem.
  3. Hector Boeth apud Gesn., page 488.
  4. Gesner, de Avibus, page 488.
  1. Cette assertion est très probablement erronée.
  2. D’après A. E. Brehm, l’outarde creuse un trou dans le sol au milieu des hautes céréales ; elle tapisse cette cavité de quelques chaumes et pond seulement deux ou trois œufs ovales, courts, à coquille épaisse, rugueuse, semée de taches d’un cuivré foncé sur un fond vert olivâtre clair ou vert gris mat. L’outarde ne va à son nid qu’avec de très grandes précautions ; si l’on touche ses œufs ou si l’on marche beaucoup autour du nid, elle n’y revient plus. L’incubation est d’environ trente jours ; à un mois, les jeunes commencent à voleter, à un mois et demi, ils suivent les parents.