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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/303

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peau lâche qu’elles ont sous le cou. Si l’on en croit les anciens, l’outarde n’a pas moins d’amitié pour le cheval qu’elle a d’antipathie pour le chien ; dès qu’elle aperçoit celui-là, elle, qui craint tout, vole à sa rencontre et se met presque sous ses pieds[1]. En supposant bien constatée cette singulière sympathie entre des animaux si différents, on pourrait, ce me semble, en rendre raison en disant que l’outarde trouve dans la fiente du cheval des grains qui ne sont qu’à demi digérés, et lui sont une ressource dans la disette[2]. Lorsqu’elle est chassée, elle court fort vite, en battant des ailes, et va quelquefois plusieurs milles de suite, et sans s’arrêter[3] ; mais comme elle ne prend son vol que difficilement et lorsqu’elle est aidée, ou si l’on veut portée par un vent favorable, et que d’ailleurs elle ne se perche ni ne peut se percher sur les arbres, soit à cause de sa pesanteur, soit faute de doigt postérieur dont elle puisse saisir la branche et s’y soutenir, on peut croire, sur le témoignage des anciens et des modernes[4], que les lévriers et les chiens courants la peuvent forcer : on la chasse aussi avec l’oiseau de proie[5], ou enfin on lui tend des filets et on l’attire où l’on veut en faisant paraître un cheval à propos, ou seulement en s’affublant de la peau d’un de ces animaux[6]. Il n’est point de piège, si grossier qu’il soit, qui ne doive réussir, s’il est vrai, comme le dit Élien, que dans le royaume de Pont les renards viennent à bout de les attirer à eux en se couchant contre terre et relevant leur queue, à laquelle ils donnent, autant qu’ils peuvent, l’apparence et les mouvements du cou d’un oiseau ; les outardes, qui prennent, dit-on, cet objet pour un oiseau de leur espèce, s’approchent sans défiance et deviennent la proie de l’animal rusé[7] ; mais cela suppose bien de la subtilité dans le renard, bien de la stupidité dans l’outarde, et peut-être encore plus de crédulité dans l’écrivain.

J’ai dit que ces oiseaux allaient quelquefois par troupes de cinquante ou soixante[NdÉ 1] ; cela arrive surtout en automne dans les plaines de la Grande

  1. Oppien, de Aucupio, lib. iii.
  2. « Otidibus amicitia cum equis quibus appropinquare et fimum dejicere gaudent. » Plutarque, de Soll. animal.
  3. Britisch Zoology, page 88.
  4. Xénophon, Élien, Albin, Frisch, etc.
  5. Aldrov., Ornitholog., t. II, page 92.
  6. Athénée.
  7. Ælian, Nat. animal., lib. vi, cap. xxiv.
  1. À l’approche de l’époque des amours, vers le mois de février, Naumann dit « qu’elles cessent de venir visiter régulièrement leurs pâturages habituels et de vivre réunies. Elles sont plus vives, inquiètes jusqu’à un certain point ; on dirait qu’elles sont comme contraintes d’errer tout le jour d’un endroit à l’autre. Les mâles commencent à poursuivre les femelles ; celles-ci se dispersent. La société se relâche, sans se dissoudre encore. » Puis, quand les mâles ont choisi leurs femelles et ont été agréés, la société est définitivement désagrégée ; elle ne se reconstitue que quand les jeunes sont grands. Ce fait de la dissolution des sociétés animales, au moment de la constitution de la famille, est offert par un grand nombre d’oiseaux et de mammifères. Il offre une grande importance.