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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/305

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limites, comme les auteurs de la Zoologie britannique ; d’ailleurs, celles qui se trouvent en Suisse sont des outardes égarées, dépaysées, en petit nombre, et dont les mœurs ne peuvent représenter celles de l’espèce : ne pourrait-on pas dire aussi que l’on n’a point de preuves que celles qu’on prend quelquefois à Zurich, pendant l’hiver, soient les mêmes qui y ont passé l’été précédent ?

Ce qui paraît de plus certain, c’est que l’outarde ne se trouve que rarement dans les contrées montagneuses ou bien peuplées, comme la Suisse, le Tyrol, l’Italie, plusieurs provinces d’Espagne, de France, d’Angleterre et d’Allemagne ; et que, lorsqu’elle s’y rencontre, c’est presque toujours en hiver[1] ; mais quoiqu’elle puisse subsister dans les pays froids et qu’elle soit, selon quelques auteurs, un oiseau de passage, il ne paraît pas néanmoins qu’elle ait jamais passé en Amérique par le Nord ; car, bien que les relations des voyageurs soient remplies d’outardes trouvées dans ce nouveau continent, il est aisé de reconnaître que ces prétendues outardes sont des oiseaux aquatiques, comme je l’ai déjà remarqué plus haut, et absolument différents de la véritable outarde dont il est ici question. M. Barrère parle bien d’une outarde cendrée d’Amérique dans son Essai d’ornithologie (page 33), qu’il dit avoir observée ; mais, 1o il ne paraît pas l’avoir vue en Amérique, puisqu’il n’en fait aucune mention dans sa France équinoxiale ; 2o il est le seul, avec M. Klein, qui parle d’une outarde américaine : or celle de M. Klein, qui est le macucagua de Marcgrave, n’a point les caractères propres à ce genre, puisqu’elle a quatre doigts à chaque pied[2], et le bas de la jambe garni de plumes jusqu’à son articulation avec le tarse, qu’elle est sans queue, et qu’elle n’a d’autre rapport avec l’outarde que d’être un oiseau pesant qui ne se perche ni ne vole presque point[3]. À l’égard de M. Barrère, son autorité n’est pas d’un assez grand poids en histoire naturelle pour que son témoignage doive prévaloir contre celui de tous les autres ; 3o enfin, son outarde cendrée d’Amérique a bien l’air d’être la femelle de l’outarde d’Afrique, laquelle est en effet toute couleur de cendre, selon M. Linnæus[4].

  1. « Memini ter quaterque apud nos captum, et in Rhætiâ circa Curiam, decembri et januario mensibus, nec apud nos, nec illic à quoquam agnitum. » Gesner, de Avibus, p. 486.

    « L’outarde se voit rarement dans l’Orléanais, et seulement en hiver, dans les temps de neige. » Salerne, Ornithologie, p. 153. « Un particulier incapable d’en imposer, ajoute le même M. Salerne, m’a raconté qu’un jour que la campagne était couverte de neige et de frimas, un de ses domestiques trouva le matin une trentaine d’outardes à moitié gelées, qu’il amena à la maison, les prenant pour des dindons qu’on avait laissés coucher dehors, et qu’on ne reconnut pour ce qu’elles étaient que lorsqu’elles furent dégelées. » Ibidem.

    Je me souviens moi-même d’en avoir vu deux, à deux différentes fois, dans une partie de la Bourgogne fertile en blé, et cependant montagneuse ; mais ç’a toujours été en hiver et par un temps de neige.

  2. Klein, Ordo Avium, p. 18.
  3. Marcgrav., Hist. nat. Brasil., p. 213.
  4. Syst. nat., édit. X, p. 155.