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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/325

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de coqs, employaient aussi les cailles au même usage ; et les Chinois élèvent encore aujourd’hui pour le combat certains petits oiseaux ressemblant à des cailles ou à des linottes ; et partout la manière dont ces oiseaux se battent est différente, selon les diverses écoles où ils ont été formés, et selon la diversité des armes offensives ou défensives dont on les affuble : mais ce qu’il y a de remarquable, c’est que les coqs de Rhodes qui étaient plus grands, plus forts que les autres, et beaucoup plus ardents au combat, l’étaient au contraire beaucoup moins pour leurs femelles ; il ne leur faillait que trois poules au lieu de quinze ou vingt, soit que leur feu se fût éteint dans la solitude forcée où ils avaient coutume de vivre, soit que leur colère, trop souvent excitée, eût étouffé en eux des passions plus douces, et qui cependant étaient, dans l’origine, le principe de leur courage et la source de leurs dispositions guerrières : les mâles de cette race étaient donc moins mâles que les autres, et les femelles, qui souvent ne sont que ce qu’on les fait, étaient moins fécondes et plus paresseuses, soit à couver leurs œufs, soit à mener leurs poussins[NdÉ 1], tant l’art avait bien réussi à dépraver la nature ! tant l’exercice des talents de la guerre est opposé à ceux de la propagation !

Les poules n’ont pas besoin du coq pour produire des œufs : il en naît sans cesse de la grappe commune de l’ovaire, lesquels, indépendamment de toute communication avec le mâle, peuvent y grossir, et en grossissant acquièrent leur maturité, se détachent de leur calice et de leur pédicule, parcourent l’oviductus dans toute sa longueur, chemin faisant s’assimilent par une force qui leur est propre la lymphe dont la cavité de cet oviductus est remplie, en composent leur blanc, leurs membranes, leurs coquilles, et ne restent dans ce viscère que jusqu’à ce que ses fibres élastiques et sensibles étant gênées, irritées par la présence de ces corps devenus désormais des corps étrangers, entrent en contraction, et les poussent au dehors le gros bout le premier, selon Aristote.

Ces œufs sont tout ce que peut faire la nature prolifique de la femelle, seule et abandonnée à elle-même ; elle produit bien un corps organisé capable d’une sorte de vie, mais non un animal vivant semblable à sa mère, et capable lui-même de produire d’autres animaux semblables à lui ; il faut pour cela le concours du coq et le mélange intime des liqueurs séminales des deux sexes ; mais lorsqu’une fois ce mélange a eu lieu, les effets en sont durables. Harvey a observé que l’œuf d’une poule séparée du coq depuis vingt jours n’était pas moins fécond que ceux qu’elle avait pondus peu après l’accouplement, mais l’embryon qu’il contenait n’était pas plus avancé pour cela, et il ne fallait pas le tenir sous la poule moins de temps qu’aucun autre pour le faire éclore : preuve certaine que la chaleur seule ne suffit pas

  1. Cette page est très remarquable relativement à l’influence exercée par les conditions de la vie sur les caractères des animaux.