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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/331

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centriques[1] ; on n’y aperçoit aucune ébauche d’animal : l’organisation intime et complète d’une matière informe n’est que l’effet instantané du mélange des deux liqueurs séminales ; mais s’il ne faut qu’un moment à la nature pour donner la forme première à cette glaire transparente, et pour la pénétrer du principe de vie dans tous ses points, il lui faut beaucoup de temps et de secours pour perfectionner cette première ébauche. Ce sont principalement les mères qu’elle semble avoir chargées du soin de ce développement, en leur inspirant le désir ou le besoin de couver : dans la plupart des poules ce désir se fait sentir aussi vivement, se marque au dehors par des signes aussi énergiques que celui de l’accouplement auquel il succède dans l’ordre de la nature, sans même qu’il soit excité par la présence d’aucun œuf. Une poule qui vient de pondre éprouve une sorte de transport que partagent les autres poules qui n’en sont que témoins, et qu’elles expriment toutes par des cris de joie répétés[2], soit que la cessation subite des douleurs de l’accouchement soit toujours accompagnée d’une joie vive, soit que cette mère prévoie dès lors tous les plaisirs que ce premier plaisir lui prépare. Quoi qu’il en soit, lorsqu’elle aura pondu vingt-cinq ou trente œufs, elle se mettra tout de bon à les couver : si on les lui ôte à mesure, elle en pondra peut-être deux ou trois fois davantage, et s’épuisera par sa fécondité même ; mais enfin il viendra un temps où, par la force de l’instinct, elle demandera à couver par un gloussement particulier et par des mouvements et des attitudes non équivoques. Si elle n’a pas ses propres œufs, elle couvera ceux d’une autre poule, et, à défaut de ceux-là, ceux d’une femelle d’une autre espèce, et même des œufs de pierre ou de craie ; elle couvera encore après que tout lui aura été enlevé, et elle se consumera en regrets et en vains mouvements[3] : si ses recherches sont heureuses et qu’elle trouve des œufs vrais ou feints dans un lieu retiré et convenable, elle se pose aussitôt dessus, les environne de ses ailes, les échauffe de sa chaleur, les remue doucement les uns après les autres comme pour en jouir plus en détail et leur communiquer à tous un égal degré de chaleur ; elle se livre tellement à cette occupation, qu’elle en oublie le boire et le manger : on dirait qu’elle comprend toute l’importance de la fonction qu’elle exerce, aucun soin n’est omis, aucune précaution n’est oubliée pour achever l’existence de ces petits êtres commencés, et pour écarter les dangers qui les

  1. Malpighi, Pullus in ovo.
  2. Nous n’avons point dans notre langue de termes propres pour exprimer les différents cris de la poule, du coq, des poulets. Les Latins, qui se plaignaient de leur pauvreté, étaient beaucoup plus riches que nous et avaient des expressions pour rendre toutes ces différences. Voyez Gesner, de Avibus, p. 431. « Gallus cucurit, pulli pipiunt, gallina canturit, gracillat, pipat, singultit ; glociunt eæ quæ volunt incubare », d’où vient le mot français glousser, le seul que nous ayons dans ce genre.
  3. On vient à bout d’éteindre le besoin de couver en trempant souvent dans l’eau froide les parties postérieures de la poule.