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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/340

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tous ces mouvements semblaient se propager comme par ondes et très lentement.

Ce qui prouve que, dans les gallinacés, la digestion se fait principalement par l’action des muscles du gésier[NdÉ 1], et non par celle d’un dissolvant quelconque, c’est que, si l’on fait avaler à l’un de ces oiseaux un petit tube de plomb ouvert par les deux bouts, mais assez épais pour n’être point aplati par l’effort du gésier, et dans lequel on aura introduit un grain d’orge, le tube de plomb aura perdu sensiblement de son poids dans l’espace de deux jours, et le grain d’orge qu’il renferme, fût-il cuit et même mondé, se retrouvera au bout de deux jours un peu renflé, mais aussi peu altéré que si on l’eût laissé pendant le même temps dans tout autre endroit également humide ; au lieu que ce même grain et d’autres beaucoup plus durs, qui ne seraient pas garantis par un tube, seraient digérés en beaucoup moins de temps.

Une chose qui peut aider encore à l’action du gésier, c’est que les oiseaux en tiennent la cavité remplie, autant qu’il est possible, et par là mettent en jeu les quatre muscles dont il est composé : à défaut de grains ils le lestent avec de l’herbe et même avec de petits cailloux, lesquels, par leur dureté et leurs inégalités, sont des instruments propres à broyer les grains avec lesquels ils sont continuellement froissés ; je dis par leurs inégalités, car lorsqu’ils sont polis ils passent fort vite, il n’y a que les raboteux qui restent ; ils abondent d’autant plus dans le gésier qu’il s’y trouve moins d’aliments ; et ils y séjournent beaucoup plus de temps qu’aucune autre matière digestible ou non digestible.

Et l’on se sera point surpris que la membrane intérieure de cet estomac soit assez forte pour résister à la réaction de tant de corps durs sur lesquels elle agit sans relâche, si l’on fait attention que cette membrane est en effet fort épaisse et d’une substance analogue à celle de la corne ; d’ailleurs, ne sait-on pas que les morceaux de bois et les cuirs, dont on se sert pour frotter avec une poudre extrêmement dure les corps auxquels on veut donner le poli, résistent fort longtemps ? On peut encore supposer que cette membrane dure se répare de la même manière que la peau calleuse des mains de ceux qui travaillent à des ouvrages de force.

Au reste, quoique les petites pierres puissent contribuer à la digestion, il n’est pas bien avéré que les oiseaux granivores aient une intention bien décidée en les avalant. Redi ayant renfermé deux chapons avec de l’eau et de ces petites pierres pour toute nourriture, ils burent beaucoup d’eau et moururent, l’un au bout de vingt jours, l’autre au bout de vingt-quatre, et

  1. C’est une erreur. Le gésier agit simplement comme organe masticateur. Il broie les graines entre ses muscles puissants, aidé dans cette opération par le frottement des graines les unes contre les autres, et contre les petits cailloux que les granivores avalent toujours en assez forte quantité. Après que les aliments ont été broyés par le gésier, ils sont digérés par les liquides que secrètent le ventricule succenturié d’une part, l’intestin de l’autre.