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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/400

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chauves-souris, les loirs, les lérots, les muscadins, les hérissons et les marmottes, et (si le fait est vrai) sans doute à peu près pour les mêmes causes[1].

On trouve de ces oiseaux au nord de l’Angleterre et de l’Écosse dans les parties montueuses, en Norvège et dans les provinces septentrionales de la Suède, aux environs de Cologne, dans les Alpes suisses, dans le Bugey, où ils s’appellent grianots, selon M. Hébert ; en Podolie, en Lithuanie, en Samogitie, et surtout en Volhynie et dans l’Ukraine, qui comprend les palatinats de Kiovie et de Braslaw, où un noble Polonais en prit un jour cent trente paires d’un seul coup de filet, dit Rzaczynski, près du village de Kusmince[2]. Nous verrons plus bas la manière dont la chasse du tétras se fait en Courlande ; ces oiseaux ne s’accoutument pas facilement à un autre climat, ni à l’état de domesticité ; presque tous ceux que M. le maréchal de Saxe avait fait venir de Suède dans sa ménagerie de Chambord y sont morts de langueur et sans se perpétuer[3].

Le tétras entre en amour dans le temps où les saules commencent à pousser, c’est-à-dire sur la fin de l’hiver, ce que les chasseurs savent bien reconnaître à la liquidité de ses excréments[4]. C’est alors qu’on voit chaque jour les mâles se rassembler dès le matin au nombre de cent ou plus, dans quelque lieu élevé, tranquille, environné de marais, couvert de bruyère, etc., qu’ils ont choisi pour le lieu de leur rendez-vous habituel ; là ils s’attaquent, ils s’entre-battent avec fureur jusqu’à ce que les plus faibles aient été mis en fuite ; après quoi les vainqueurs se promènent sur un tronc d’arbre ou sur l’endroit le plus élevé du terrain, l’œil en feu, les sourcils gonflés, les plumes hérissées, la queue étalée en éventail, faisant la roue, battant des ailes, bondissant assez fréquemment[5], et rappelant les femelles par un cri qui s’entend d’un demi-mille. Son cri naturel, par lequel il semble articuler le mot allemand frau[6], monte de tierce dans cette circonstance, et il y joint un autre cri particulier, une espèce de roulement de gosier très

    neige, avaient les pieds mieux garnis de plumes que les deux espèces de tétras qui savent se mettre à l’abri dans les forêts épaisses ; mais si les tétras passent aussi l’hiver sous la neige, que devient cette belle cause finale, ou plutôt que deviennent tous les raisonnements de ce genre lorsqu’on les examine avec les yeux de la philosophie ?

  1. Voyez l’Histoire naturelle du loir, où j’indique la vraie cause de l’engourdissement de ces animaux. Celui du tétras pendant l’hiver me rappelle ce que l’on trouve dans le livre de Mirabilibus, attribué à Aristote, au sujet de certains oiseaux du royaume de Pont, qui étaient en hiver dans un tel état de torpeur, qu’on pouvait les plumer, les dresser et même les mettre à la broche sans qu’ils le sentissent, et qu’on ne pouvait les réveiller qu’en les faisant rôtir : en retranchant de ce fait ce qu’on y a ajouté de ridicule pour le rendre merveilleux, il se réduit à un engourdissement semblable à celui des tétras et des marmottes, qui suspend toutes les fonctions des sens externes et ne cesse que par l’action de la chaleur.
  2. Auctuarium Polon., p. 422.
  3. Voyez Salerne, Ornithologie, p. 137.
  4. Actes de Breslaw. Novembre 1725.
  5. Frisch, planche cix. — British Zoology, p. 85.
  6. Ornithologie de Salerne, loco citato.