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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/410

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mâle s’attache tout de suite à une autre femelle et ne reparaît plus[1] : ce qu’il y a de plus certain, c’est que si on surprend un de ces oiseaux mâle ou femelle et qu’on le fasse lever, c’est toujours avec grand bruit qu’il part, et son instinct le porte à se jeter dans un sapin touffu, où il reste immobile avec une patience singulière pendant tout le temps que le chasseur le guette : ordinairement ces oiseaux ne se posent qu’au centre de l’arbre, c’est-à-dire dans l’endroit où les branches sortent du tronc.

Comme on a beaucoup parlé de la gelinotte, on a aussi débité beaucoup de fables à son sujet, et les plus absurdes sont celles qui ont rapport à la façon dont elle se perpétue. Encelius et quelques autres ont avancé que ces oiseaux s’accouplaient par le bec, que les coqs eux-mêmes pondaient, lorsqu’ils étaient vieux, des œufs qui, étant couvés par des crapauds, produisaient des basilics sauvages, de même que les œufs de nos coqs de basses-cours, couvés aussi par des crapauds, produisent, selon les mêmes auteurs, des basilics domestiques ; et de peur qu’on ne doutât de ces basilics, Encelius en décrit un qu’il avait vu[2] ; mais heureusement il ne dit pas qu’il l’eût vu sortir d’un œuf de gelinotte, ni qu’il eût vu un mâle de cette espèce pondre cet œuf ; et l’on sait à quoi s’en tenir sur ces prétendus œufs de coq ; mais comme les contes les plus ridicules sont souvent fondés sur une vérité mal vue ou mal rendue, il pourrait se faire que des ignorants, toujours amis du merveilleux, ayant vu les gelinottes, en amour, faire de leur bec le même usage qu’en font d’autres oiseaux en pareil cas, et préluder au véritable accouplement par des baisers de tourterelles, aient cru de bonne foi les avoir vu s’accoupler par le bec. Il y a dans l’histoire naturelle beaucoup de faits de ce genre qui paraissent ridiculement absurdes, et qui cependant renferment une vérité cachée ; il ne faut, pour la dégager, que savoir distinguer ce que l’homme a vu de ce qu’il a cru.

Selon l’opinion des chasseurs, les gelinottes entrent en amour et se couplent dès les mois d’octobre et de novembre ; et il est vrai que dans ce temps l’on ne tue que des mâles qu’on appelle avec une espèce de sifflet qui imite le cri très aigu de la femelle ; les mâles arrivent à l’appeau en agitant les ailes d’une façon fort bruyante, et on les tire dès qu’ils se sont posés.

Les gelinottes femelles, en leur qualité d’oiseaux pesants, font leur nid à terre, et le cachent d’ordinaire sous des coudriers ou sous la grande fougère de montagne : elles pondent ordinairement douze ou quinze œufs, et même jusqu’à vingt, un peu plus gros que des œufs de pigeons[3] ; elles les couvent pendant trois semaines, et n’amènent guère à bien que sept ou huit

  1. Gesner, Ornithologia, p. 230.
  2. Gesner, Ornithologia, p. 230.
  3. Schwenckfeld, p. 278.