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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/510

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bon ménage deux perdrix, l’une mâle et l’autre femelle, couvant chacune de son côté[1].

Par une suite de leur naturel sauvage, les perdrix rouges que l’on tâche de multiplier dans les parcs, et que l’on élève à peu près comme les faisans, sont encore plus difficiles à élever, exigent plus de soins et de précautions pour les accoutumer à la captivité, ou, pour mieux dire, elles ne s’y accoutument jamais, puisque les petits perdreaux rouges qui sont éclos dans la faisanderie, et qui n’ont jamais connu la liberté, languissent dans cette prison qu’on cherche à leur rendre agréable de toutes manières, et meurent bientôt d’ennui et d’une maladie qui en est la suite, si on ne les lâche dans le temps où ils commencent à avoir la tête garnie de plumes.

Ces faits, qui m’ont été fournis par M. Leroy, paraissent contredire ce qu’on rapporte des perdrix d’Asie[2] et de quelques îles de l’Archipel[3], et même de Provence, où on en a vu des troupes nombreuses[4] qui obéissaient à la voix de leur conducteur avec une docilité singulière. Porphyre parle d’une perdrix privée venant de Carthage, qui accourait à la voix de son maître, le caressait et exprimait son attachement par des inflexions de voix que le sentiment semblait produire, et qui étaient toutes différentes de son cri ordinaire[5]. Mundella et Gesner en ont élevé eux-mêmes qui étaient devenues très familières[6] : il paraît même, par plusieurs passages des anciens, qu’on en était venu jusqu’à leur apprendre à chanter ou à perfectionner leur chant naturel, qui, du moins dans certaines races, passait pour un ramage agréable[7].

Mais tout cela peut se concilier en disant que cet oiseau est moins ennemi de l’homme que de l’esclavage, qu’il est des moyens d’apprivoiser et de subjuguer l’animal le plus sauvage, c’est-à-dire le plus amoureux de sa liberté, et que ce moyen est de le traiter selon sa nature, en lui laissant autant

  1. Voyez Aldrovande, Ornithologia, t. II, p. 120.
  2. « In regione circa Trapezuntem… vidi hominem ducentem secum supra quatuor millia perdicum. Is iter faciebat per terram ; perdices per aerem volabant, quas ducebat ad quoddam castrum… quod a Trapezunte distat trium dierum itinere : cùm huic homini quiescere… libebat, perdices omnes quiescebant circa eum, et capiebat de ipsis quantum volebat numerum. » Odoricus (De foro Julii), apud Gesner, de Avibus, p. 675.
  3. Il y a des gens du côté de Vessa et d’Élata (dans l’île de Scio), qui élèvent les perdrix avec soin : on les mène… à la campagne chercher leur nourriture comme des troupeaux de moutons : chaque famille confie les siennes au gardien commun, qui les ramène le soir ; et on les rappelle chez soi avec un coup de sifflet, même pendant la journée. Voyez le Voyage au Levant de M. de Tournefort, t. Ier, p. 386.
  4. J’ai vu un homme en Provence, du côté de Grasse, qui conduisait des compagnies de perdrix à la campagne, et qui les faisait venir à lui quand il voulait : il les prenait avec la main, les mettait dans son sein, et les renvoyait ensuite… avec les autres. Ibidem.
  5. Porphyre, de Abstinentiâ a carnibus, lib. iii.
  6. Voyez Gesner, de Avibus, p. 682.
  7. Athénée, Deipnosoph. — Plutarque, Utra animalium, etc. — Élien, de Naturâ animalium, lib. iv, cap. xiii.