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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/522

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les environs de Venise vers le milieu d’avril ; Olina fixe leur arrivée dans la campagne de Rome aux premiers jours d’avril ; mais presque tous conviennent qu’elles s’en vont à la première gelée d’automne[1], dont l’effet est d’altérer la qualité des herbes et de faire disparaître les insectes ; et si les gelées du mois de mai ne les déterminent point à retourner vers le sud, c’est une nouvelle preuve que ce n’est point le froid qu’elles évitent, mais qu’elles cherchent de la nourriture dont elles ne sont point privées par les gelées du mois de mai. Au reste, il ne faut pas regarder ces temps marqués par les observateurs comme des époques fixes auxquelles la nature daigne s’assujettir ; ce sont, au contraire, des termes mobiles qui varient entre certaines limites d’un pays à l’autre, suivant la température du climat, et même d’une année à l’autre, dans le même pays, suivant que le chaud et le froid commencent plus tôt ou plus tard, et que, par conséquent, la maturité des récoltes et la génération des insectes qui servent de nourriture aux cailles est plus ou moins avancée.

Les anciens et les modernes se sont beaucoup occupés de ce passage des cailles et des autres oiseaux voyageurs : les uns l’ont chargé de circonstances plus ou moins merveilleuses ; les autres, considérant combien ce petit oiseau vole difficilement et pesamment, l’ont révoqué en doute, et ont eu recours, pour expliquer la disparition régulière des cailles en certaines saisons de l’année, à des suppositions beaucoup plus révoltantes. Mais il faut avouer qu’aucun des anciens n’avait élevé ce doute ; cependant ils savaient que les cailles sont des oiseaux lourds, qui volent très peu et presque malgré eux[2] ; que, quoique très ardents pour leurs femelles, les mâles ne se servent pas toujours de leurs ailes pour accourir à leur voix, mais qu’ils font souvent plus d’un quart de lieue à travers l’herbe la plus serrée pour les venir trouver ; enfin qu’ils ne prennent l’essor que lorsqu’ils sont tout à fait pressés par les chiens ou par les chasseurs : les anciens savaient tout cela, et néanmoins il ne leur est pas venu dans l’esprit que les cailles se retirassent aux approches des froids dans des trous pour y passer l’hiver dans un état de torpeur et d’engourdissement, comme font les loirs, les hérissons, les marmottes, les chauves-souris, etc. C’était une absurdité réservée à quelques modernes[3], qui ignoraient sans doute que la chaleur intérieure des animaux sujets à l’engourdissement étant beaucoup moindre qu’elle ne l’est communément dans les autres quadrupèdes, et à plus forte raison dans les oiseaux, elle avait besoin d’être aidée par la chaleur extérieure de l’air, comme je l’ai dit ailleurs ; et que, lorsque ce secours

  1. Voyez Gesner, de Avibus, p. 354.
  2. Βαρεῖς καὶ μὴ πτήτικοι, dit Aristote, Hist. animalium, lib. ix, cap. viii.
  3. « Coturnicem multi credunt trans mare avolare, quod falsum esse convincitur quoniam trans mare per hiemem non invenitur ; latet ergo sicut aves ceteræ quibus superflui lentique humores concoquendi sunt. » Albert apud Gesnerum, de Avibus, p. 354.