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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/523

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vient à leur manquer, ils tombent dans l’engourdissement et meurent même bientôt s’ils sont exposés à un froid trop rigoureux. Or, certainement, cela n’est point applicable aux cailles, en qui l’on a même reconnu généralement plus de chaleur que dans les autres oiseaux, au point qu’en France elle a passé en proverbe[1], et qu’à la Chine on se sert de ces oiseaux pour se tenir chaud en les portant tout vivants dans les mains[2] : d’ailleurs on s’est assuré, par observation continuée pendant plusieurs années, qu’elles ne s’engourdissent point, quoique tenues pendant tout l’hiver dans une chambre exposée au nord et sans feu, ainsi que je l’ai dit ci-dessus, d’après plusieurs témoins oculaires et très dignes de foi qui me l’ont assuré. Or, si les cailles ne se cachent ni ne s’engourdissent pendant l’hiver, comme il est sûr qu’elles disparaissent dans cette saison, on ne peut douter qu’elles ne passent d’un pays dans un autre, et c’est ce qui est prouvé par un grand nombre d’autres observations.

Belon, se trouvant en automne sur un navire qui passait de Rhodes à Alexandrie, vit des cailles qui allaient du septentrion au midi ; et plusieurs de ces cailles ayant été prises par les gens de l’équipage, on trouva dans leur jabot des grains de froment bien entiers. Le printemps précédent, le même observateur, passant de l’île de Zante dans la Morée, en avait vu un grand nombre qui allaient du midi au septentrion[3] ; et il dit qu’en Europe, comme en Asie, les cailles sont généralement oiseaux de passage.

M. le commandeur Godeheu les a vues constamment passer à Malte au mois de mai, par certains vents, et repasser au mois de septembre[4] : plusieurs chasseurs m’ont assuré que, pendant les belles nuits du printemps, on les entend arriver, et que l’on distingue très bien leur cri, quoiqu’elles soient à une très grande hauteur ; ajoutez à cela qu’on ne fait nulle part une chasse aussi abondante de ce gibier que sur celles de nos côtes qui sont opposées à celles d’Afrique ou d’Asie, et dans les îles qui se trouvent entre deux : presque toutes celles de l’Archipel, et jusqu’aux écueils, en sont couvertes, selon M. de Tournefort, dans certaines saisons de l’année[5] ; et plus d’une des ces îles en a pris le nom d’Ortygia[6]. Dès le siècle de Varron, l’on avait remarqué qu’au temps de l’arrivée et du départ des cailles, on en voyait une multitude prodigieuse dans les îles de Pontia, Pandataria

  1. On dit vulgairement : chaud comme une caille.
  2. Voyez Osborn., Iter, 190.
  3. Voyez les Observations de Belon, fol. 90, verso ; et la Nature des oiseaux, du même auteur, p. 264 et suiv.
  4. Voyez les Mémoires de Mathématique et de Physique, présentés à l’Académie royale des sciences par divers savants, etc., t. III, p. 91 et 92.
  5. Voyez Tournefort, Voyage au Levant, t. Ier, p. 169, 281, 313, etc.
  6. Ce nom d’Ortygia, formé du mot grec Ὄρτυξ, qui signifie caille, a été donné aux deux Délos, selon Phanodémus dans Athénée : on l’a encore appliqué à une autre petite île vis-à-vis Syracuse, et même à la ville d’Éphèse, selon Étienne de Byzance et Eustathe.