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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/524

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et autres, qui avoisinent la partie méridionale de l’Italie[1], et où elles faisaient apparemment une station pour se reposer. Vers le commencement de l’automne, on en prend une si grande quantité dans l’île de Caprée, à l’entrée du golfe de Naples, que le produit de cette chasse fait le principal revenu de l’évêque de l’île, appelé par cette raison l’évêque des cailles : on en prend aussi beaucoup dans les environs de Pesaro sur le golfe Adriatique, vers la fin du printemps, qui est la saison de leur arrivée[2] ; enfin, il en tombe une quantité si prodigieuse sur les côtes occidentales du royaume de Naples, aux environs de Nettuno, que, sur une étendue de côte de quatre ou cinq milles, on en prend quelquefois jusqu’à cent milliers dans un jour, et qu’on les donne pour quinze jules le cent (un peu moins de huit livres de notre monnaie), à des espèces de courtiers qui les font passer à Rome, où elles sont beaucoup moins communes[3]. Il en arrive aussi des nuées au printemps sur les côtes de Provence, particulièrement dans les terres de M. l’évêque de Fréjus, qui avoisinent la mer ; elles sont si fatiguées, dit-on, de la traversée, que les premiers jours on les prend à la main.

Mais, dira-t-on toujours, comment un oiseau si petit, si faible, et qui a le vol si pesant et si bas, peut-il, quoique pressé par la faim, traverser de grandes étendues de mer ? J’avoue que, quoique ces grandes étendues de mer soient interrompues de distance en distance par plusieurs îles où les cailles peuvent se reposer, telles que Minorque, la Corse, la Sardaigne, la Sicile, les îles de Malte, de Rhodes, toutes les îles de l’Archipel, j’avoue, dis-je, que, malgré cela, il leur faut encore du secours ; et Aristote l’avait fort bien senti ; il savait même quel était celui dont elles usaient le plus communément, mais il s’était trompé, ce me semble, sur la manière dont elles s’en aidaient : « Lorsque le vent du nord souffle, dit-il, les cailles voyagent heureusement ; mais si c’est le vent du midi, comme son effet est d’appesantir et d’humecter, elles volent alors plus difficilement, et elles expriment la peine et l’effort par les cris qu’elles font entendre en volant[4]. » Je crois en effet que c’est le vent qui aide les cailles à faire leur voyage, non pas le vent du nord, mais le vent favorable ; de même que ce n’est point le vent du sud qui retarde leur course, mais le vent contraire ; et cela est vrai dans tous les pays où ces oiseaux ont un trajet considérable à faire par-dessus les mers[5].

  1. Varro, de Re rusticâ, lib. iii, cap. v.
  2. Aloysius Mundella apud Gesnerum, p. 354.
  3. Voyez Gesner, de Avibus, p. 356 ; et Aldrovande, Ornithologia, t. II, p. 164. Cette chasse est si lucrative, que le terrain où elle se fait par les habitants de Nettuno est d’une cherté exorbitante.
  4. Aristote, Historia animalium, lib. viii, cap. xii.
  5. « Aurâ tamen vehi volunt, propter pondus corporum viresque parvas. » Pline, Hist. nat., lib. x, cap. xxiii.