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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/525

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M. le commandeur Godeheu a très bien remarqué qu’au printemps les cailles n’abordent à Malte qu’avec le nord-ouest, qui leur est contraire pour gagner la Provence, et qu’à leur retour c’est le sud-est qui les amène dans cette île, parce qu’avec ce vent elles ne peuvent aborder en Barbarie[1] : nous voyons même que l’auteur de la nature s’est servi de ce moyen, comme le plus conforme aux lois générales qu’il avait établies, pour envoyer de nombreuses volées de cailles aux Israélites dans le désert[2] ; et ce vent, qui était le sud-ouest, passait en effet en Égypte, en Éthiopie, sur les côtes de la mer Rouge, et en un mot dans les pays où les cailles sont en abondance[3].

Des marins, que j’ai eu occasion de consulter, m’ont assuré que, quand les cailles étaient surprises dans leur passage par le vent contraire, elles s’abattaient sur les vaisseaux qui se trouvaient à leur portée, comme Pline l’a remarqué[4], et tombaient souvent dans la mer, et qu’alors on les voyait flotter et se débattre sur les vagues une aile en l’air, comme pour prendre le vent ; d’où quelques naturalistes ont pris occasion de dire qu’en partant elles se munissaient d’un petit morceau de bois qui pût leur servir d’une espèce de point d’appui ou de radeau, sur lequel elles se délassaient de temps en temps, en voguant sur les flots, de la fatigue de voguer dans l’air[5] : on leur a fait aussi porter à chacune trois petites pierres dans le bec, selon Pline[6], pour se soutenir contre le vent ; et, selon Oppien[7], pour reconnaître, en les laissant tomber une à une, si elles avaient dépassé la mer ; et tout cela se réduit à quelques petites pierres que les cailles avalent, avec leur nourriture, comme tous les granivores. En général, on leur a prêté des vues, une sagacité, un discernement, qui feraient presque douter que ceux qui leur ont fait honneur de ces qualités en aient fait beaucoup d’usage eux-mêmes. On a observé que d’autres oiseaux voyageurs, tels que le râle terrestre, accompagnaient les cailles, et que l’oiseau de proie ne manquait pas d’en attraper quelqu’une à leur arrivée : de là on a prétendu qu’elles avaient de bonnes raisons pour se choisir un guide ou chef d’une autre espèce, que l’on a appelé roi des cailles (ortygometra) ; et cela, parce

  1. Mémoires présentés à l’Académie royale des sciences par divers savants, t. III, p. 92.
  2. « Transtulit Austrum de cœlo et induxit in virtute suâ Africum, et pluit super eos sicut pulverem carnes, et sicut arenam maris volatilia pennata. » Psalm. 77.
  3. « Sinus Arabicus coturnicibus plurimum abundat. » Fl. Joseph., lib. iii, cap. i.
  4. « Advolant… non sine periculo navigantium cùm appropinquavêre terris, quippe velis sæpe insident, et hoc semper noctu, merguntque navigia. » Pline, Histor. nat., lib. x, cap. xxiii.
  5. Voyez Aldrovande, Ornithologia, t. II, p. 156.
  6. « Quod si ventus agmen adverso flatu cœperit inhibere, pondusculis apprehensis, aut gutture arenâ repleto, stabilitæ volant. » Lib. x, cap. xxiii. On voit, à travers cette erreur de Pline, qu’il savait mieux qu’Aristote comment les cailles tiraient partie du vent pour passer les mers.
  7. Oppian, in Ixeut.