Aller au contenu

Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/527

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À l’égard de celles qui passent les mers, il n’y a que celles qui sont secondées par un vent favorable qui arrivent heureusement ; et si ce vent favorable souffle rarement au temps de la passe, il en arrive beaucoup moins dans les contrées où elles vont passer l’été : dans tous les cas, on peut juger assez sûrement du lieu d’où elles viennent par la direction du vent qui les apporte.

Aussitôt que les cailles sont arrivées dans nos contrées, elles se mettent à pondre : elles ne s’apparient point, comme je l’ai déjà remarqué, et cela serait difficile si le nombre des mâles est, comme on l’assure, beaucoup plus grand que celui des femelles ; la fidélité, la confiance, l’attachement personnel, qui seraient des qualités estimables dans les individus, seraient nuisibles à l’espèce ; la foule des mâles célibataires troublerait tous les mariages et finirait par les rendre stériles, au lieu que, n’y ayant point de mariages, ou plutôt n’y en ayant qu’un seul de tous les mâles avec toutes les femelles, il y a moins de jalousie, moins de rivalité et, si l’on veut, moins de moral dans leurs amours ; mais aussi il y a beaucoup de physique. On a vu un mâle réitérer dans un jour jusqu’à douze fois ses approches avec plusieurs femelles indistinctement ; ce n’est que dans ce sens qu’on a pu dire que chaque mâle suffisait à plusieurs femelles[1] ; et la nature, qui leur inspire cette espèce de libertinage, en tire parti pour la multiplication de l’espèce : chaque femelle dépose de quinze à vingt œufs dans un nid qu’elle sait creuser dans la terre avec ses ongles, qu’elle garnit d’herbes et de feuilles, et qu’elle dérobe autant qu’elle peut à l’œil perçant de l’oiseau de proie ; ces œufs sont mouchetés de brun sur un fond grisâtre ; elle les couve pendant environ trois semaines ; l’ardeur des mâles est un bon garant qu’ils sont tous fécondés, et il est rare qu’il s’en trouve de stériles.

Les auteurs de la Zoologie britannique disent que les cailles, en Angle-

  1. Voyez Aldrovande, Ornithologia, t. II, p. 159 ; et Schwenckfeld, Aviarium Silesiæ, p. 248.

    sent, puis s’enlèvent et continuent leur route. Il en est autrement quand le vent change ou que la tempête s’élève. Bientôt épuisées, elles ne peuvent continuer leur vol, se précipitent sur les écueils, sur les rochers, sur le pont des navires et y demeurent longtemps immobiles. Lors même que le calme s’est rétabli dans l’atmosphère, elles hésitent plusieurs jours avant de continuer leur voyage. C’est ce que l’on a observé ; mais l’on ne sait combien d’émigrants tombent dans la mer et s’y noient.

    » À cette époque, sur la côte septentrionale d’Afrique, on peut souvent assister à l’arrivée des cailles. On aperçoit un point noir glissant au-dessus de l’eau ; ce point approche rapidement ; enfin on voit l’oiseau fatigué se précipiter à terre, immédiatement au bord de l’eau. Il reste là quelques minutes et paraît incapable de faire un mouvement. Mais cet état ne dure pas longtemps. Les cailles qui ont atterri commencent à s’agiter, elles se lèvent et bientôt toutes courent rapidement sur le sable. Il faut du temps pour qu’elles osent se confier de nouveau à leurs ailes, et c’est dans la course qu’elles cherchent alors leur salut… Des cailles franchissent près de cinquante lieues en une nuit ; on a trouvé dans le jabot de ces oiseaux, au moment de leur arrivée sur nos côtes de France, des graines de plantes africaines qu’ils avaient mangés la veille. »