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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/544

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espèce toutes les nuances du sauvage au domestique se présenter successivement et comme par ordre de généalogie, ou plutôt de dégénération. Le biset nous est représenté d’une manière à ne pouvoir s’y méprendre par ceux de nos pigeons fuyards qui désertent nos colombiers et prennent l’habitude de se percher sur les arbres : c’est la première et la plus forte nuance de leur retour à l’état de nature ; ces pigeons, quoique élevés dans l’état de domesticité, quoique en apparence accoutumés comme les autres à un domicile fixe, à des habitudes communes, quittent ce domicile, rompent toute société, et vont s’établir dans les bois ; ils retournent donc à leur état de nature poussés par leur seul instinct. D’autres, apparemment moins courageux, moins hardis, quoique également amoureux de leur liberté, fuient de nos colombiers pour aller habiter solitairement quelques trous de muraille, ou bien en petit nombre se réfugient dans une tour peu fréquentée ; et malgré les dangers, la disette et la solitude de ces lieux où ils manquent de tout, où ils sont exposés à la belette, aux rats, à la fouine, à la chouette, et où ils sont forcés de subvenir en tout temps à leurs besoins par leur seule industrie, ils restent néanmoins constamment dans ces habitations incommodes et les préfèrent pour toujours à leur premier domicile, où cependant ils sont nés, où ils ont été élevés, où tous les exemples de la société auraient dû les retenir : voilà la seconde nuance. Ces pigeons de murailles ne retournent pas en entier à l’état de nature, ils ne se perchent pas comme les premiers, et sont néanmoins beaucoup plus près de l’état libre que de la condition domestique. La troisième nuance est celle de nos pigeons de colombier, dont tout le monde connaît les mœurs, et qui, lorsque leur demeure convient, ne l’abandonnent pas ou ne la quittent que pour en prendre une qui convient encore mieux, et ils n’en sortent que pour aller s’égayer ou se pourvoir dans les champs voisins. Or, comme c’est parmi ces pigeons mêmes que se trouvent les fuyards et les déserteurs dont nous venons de parler, cela prouve que tous n’ont pas encore perdu leur instinct d’origine et que l’habitude de la libre domesticité dans laquelle ils vivent n’a pas entièrement effacé les traits de leur première nature, à laquelle ils pourraient encore remonter. Mais il n’en est pas de même de la quatrième et dernière nuance dans l’ordre de dégénération : ce sont les gros et les petits pigeons de volière dont les races, les variétés, les mélanges sont presque innumérables, parce que depuis un temps immémorial ils sont absolument domestiques ; et l’homme, en perfectionnant les formes extérieures, a en même temps altéré leurs qualités intérieures et détruit jusqu’au germe du sentiment de la liberté. Ces oiseaux, la plupart plus grands, plus beaux que les pigeons communs, ont encore l’avantage pour nous d’être plus féconds, plus gras, de meilleur goût, et c’est par toutes ces raisons qu’on les a soignés de plus près et qu’on a cherché à les multiplier malgré toutes les peines qu’il faut se donner pour leur éducation et pour le succès de leur