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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/558

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ront pas de revenir auprès de leur femelle dès qu’ils seront mis en liberté[1].

On voit que ces cinq races de pigeons ne sont que des variétés secondaires des premières que nous avons indiquées d’après les observations de quelques curieux qui ont passé leur vie à élever des pigeons, et particulièrement du sieur Fournier, qui en fait commerce, et qui a été chargé pendant quelques années du soin des volières et des basses-cours de S. A. S. monseigneur le comte de Clermont. Ce prince, qui de très bonne heure s’est déclaré proclamé protecteur des arts, toujours animé du goût des belles connaissances, a voulu savoir jusqu’où s’étendraient en ce genre les forces de la nature : on a rassemblé par ses ordres toutes les espèces, toutes les races connues des oiseaux domestiques, on les a multipliées et variées à l’infini ; l’intelligence, les soins et la culture ont ici, comme en tout, perfectionné ce qui était connu, et développé ce qui ne l’était pas ; on a fait éclore jusqu’aux arrières-germes de la nature, on a tiré de son sein toutes les productions ultérieures qu’elle seule, et sans aide, n’aurait pu amener à la lumière. En cherchant à épuiser les trésors de sa fécondité, on a reconnu qu’ils étaient inépuisables, et qu’avec un seul de ses modèles, c’est-à-dire avec une seule espèce, telle que celle du pigeon ou de la poule, on pouvait faire un peuple composé de mille familles différentes, toutes reconnaissables, toutes nouvelles, toutes plus belles que l’espèce dont elles tirent leur première origine.

Dès le temps des Grecs on connaissait les pigeons de volière, puisque Aristote dit qu’ils produisent dix et onze fois l’année, et que ceux d’Égypte produisent jusqu’à douze fois[2]. L’on pourrait croire néanmoins que les grands colombiers, où les pigeons ne produisent que deux ou trois fois par an, n’étaient pas fort en usage du temps de ce philosophe : il compose le genre columbacé de quatre espèces[3], savoir : le ramier (palumbes), la tourterelle (turtur), le biset (vinago) et le pigeon (columbus) ; et c’est de ce dernier dont il dit que le produit est de dix pontes par an. Or, ce produit si fréquent ne se trouve que dans quelques races de nos pigeons de volière. Aristote n’en distingue pas les différences, et ne fait aucune mention des variétés de ces pigeons domestiques : peut-être ces variétés n’existaient qu’en petit nombre ; mais il paraît qu’elles s’étaient bien multipliées du

  1. Dans les colombiers du Caire on sépare quelques mâles dont on relient les femelles, et on envoie ces mâles dans les villes dont on veut avoir des nouvelles ; on écrit sur un petit morceau de papier qu’on recouvre de cire après l’avoir plié ; on l’ajuste et l’attaché sous l’aile du pigeon mâle, et on le lâche de grand matin après lui avoir bien donné à manger, de peur qu’il ne s’arrête ; il s’en va droit au colombier où est sa femelle… il fait en un jour le trajet qu’un homme de pied ne saurait faire qu’en six. Voyage de Pietro della Valle, t. Ier, p. 416 et 417. — On se sert à Alep de pigeons qui portent en moins de six heures des lettres d’Alexandrette à Alep, quoiqu’il y ait vingt-deux bonnes lieues. Voyage de Thévenot, t. II, p. 73.
  2. Aristote, Historia animalium, lib. vi, cap. iv.
  3. Idem, lib. viii, cap. iii.