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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/572

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sible, comme nous l’avons déjà insinué, que les bisets, les ramiers et les tourterelles, dont les trois espèces paraissent se soutenir séparément et sans mélange dans l’état de nature, se soient néanmoins souvent unies dans celui de domesticité, et que de leur mélange soient issues la plupart des races de nos pigeons domestiques, dont quelques-uns sont de la grandeur du ramier, et d’autres ressemblent à la tourterelle par la petitesse, par la figure, etc., et dont plusieurs enfin tiennent du biset, ou participent de tous trois.

Et ce qui semble confirmer la vérité de notre opinion sur ces unions, qu’on peut regarder comme illégitimes, puisqu’elles ne sont pas dans le cours ordinaire de la nature, c’est l’ardeur excessive que ces oiseaux ressentent dans la saison de l’amour : la tourterelle est encore plus tendre, disons plus lascive, que le pigeon, et met aussi dans ses amours des préludes plus singuliers. Le pigeon mâle se contente de tourner en rond autour de sa femelle en piaffant et se donnant des grâces. Le mâle tourterelle, soit dans les bois, soit dans une volière, commence par saluer la sienne en se prosternant devant elle dix-huit ou vingt fois de suite ; il s’incline avec vivacité et si bas que son bec touche à chaque fois la terre ou la branche sur laquelle il est posé, il se relève de même ; les gémissements les plus tendres accompagnent ces salutations : d’abord la femelle y paraît insensible, mais bientôt l’émotion intérieure se déclare par quelques sons doux, quelques accents plaintifs qu’elle laisse échapper, et lorsqu’une fois elle a senti le feu des premières approches, elle ne cesse de brûler, elle ne quitte plus son mâle, elle lui multiplie les baisers, les caresses, l’excite à la jouissance et l’entraîne aux plaisirs jusqu’au temps de la ponte où elle se trouve forcée de partager son temps et de donner des soins à sa famille[NdÉ 1]. Je ne citerai qu’un fait qui prouve assez combien ces oiseaux sont ardents[1] ; c’est qu’en mettant ensemble dans une cage des tourterelles mâles et dans une autre des tourterelles femelles, on les verra se joindre et s’accoupler comme s’ils étaient de sexe différent ; seulement cet excès arrive plus promptement et plus souvent aux mâles qu’aux femelles : la contrainte et la privation ne servent donc souvent qu’à mettre la nature en désordre, et non pas à l’éteindre.

  1. La tourterelle, m’écrit M. Leroy, diffère du ramier et du pigeon par son libertinage et son inconstance, malgré sa réputation. Ce ne sont pas seulement les femelles enfermées dans les volières qui s’abandonnent indifféremment à tous les mâles : j’en ai vu de sauvages, qui n’étaient ni contraintes ni corrompues par la domesticité, faire deux heureux de suite sans sortir de la même branche.
  1. Le mâle et la femelle restent très étroitement unis l’un à l’autre pendant toute la saison des amours, et la perte de l’un des deux conjoints produit chez l’autre une douleur extrêmement vive. Ce fait, bien connu des chasseurs, est devenu légendaire au point que, d’après la croyance générale, la mort de l’un des deux individus unis par l’amour entraînerait fatalement celle de l’autre. Le mâle couve alternativement avec la femelle et prodigue, comme elle, les plus grands soins aux petits.