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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/591

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petits commencent à être en état de voler, le père et la mère les obligent à sortir du nid et à faire usage de leurs ailes ; que bientôt même ils les chassent totalement du district qu’ils se sont approprié, si ce district trop stérile ou trop resserré ne suffit pas à la subsistance de plusieurs couples[1], et en cela ils se montreraient véritablement oiseaux de proie ; mais ce fait ne s’accorde point avec les observations que M. Hébert a faites sur les corbeaux des montagnes du Bugey, lesquels prolongent l’éducation de leurs petits, et continuent de pourvoir à leur subsistance bien au delà du terme où ceux-ci sont en état d’y pourvoir par eux-mêmes. Comme l’occasion de faire de telles observations et le talent de les faire aussi bien ne se rencontrent pas souvent, j’ai cru devoir en rapporter ici le détail dans les propres termes de l’observateur.

« Les petits corbeaux éclosent de fort bonne heure, et dès le mois de mai ils sont en état de quitter le nid. Il en naissait chaque année une famille en face de mes fenêtres, sur les rochers qui bornaient la vue. Les petits, au nombre de quatre ou cinq, se tenaient sur de gros blocs éboulés à une hauteur moyenne, où il était facile de les voir ; et ils se faisaient d’ailleurs assez remarquer par un piaulement presque continuel. Chaque fois que le père ou la mère leur apportaient à manger, ce qui arrivait plusieurs fois le jour, ils les appelaient par un cri crau, crau, crau, très différent de leur piaulement. Quelquefois il n’y en avait qu’un seul qui prît l’essor, et après un léger essai de ses forces il revenait se poser sur son rocher ; presque toujours il en restait quelqu’un, et c’est alors que son piaulement devenait continuel. Lorsque les petits avaient l’aile assez forte pour voler, c’est-à-dire quinze jours au moins après leur sortie du nid, les père et mère les emmenaient tous les matins avec eux et les ramenaient tous les soirs : c’était toujours sur les cinq ou six heures après midi que toute la bande revenait au gîte, et le reste de la soirée se passait en criailleries très incommodes. Ce manège durait tout l’été, ce qui donne lieu de croire que les corbeaux ne font pas deux couvées par an. »

Gesner a nourri de jeunes corbeaux avec de la chair crue, des petits poissons et du pain trempé dans l’eau[2]. Ils sont fort friands de cerises, et ils les avalent avidement avec les queues et les noyaux ; mais ils ne digèrent que la pulpe, et deux heures après ils rendent par le bec les noyaux et les queues ; on dit qu’ils rejettent aussi les os des animaux qu’ils ont avalés avec la chair, de même que la cresserelle, les oiseaux de proie nocturnes, les oiseaux pêcheurs, etc., rendent les parties dures et indigestes des animaux ou des poissons qu’ils ont dévorés[3]. Pline dit que les corbeaux sont sujets tous les étés à une maladie périodique de soixante jours, dont, selon

  1. Aristote, Hist. animal., lib. ix, cap. xxxi.
  2. De Avibus, p. 336.
  3. Voyez Aldrovande, t. Ier, p. 697.